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8 commentaires

Johnny le pourri

  1. je me rĂ©jouis de la qualitĂ© des Ă©changes des commentaires de ce blog toujours drĂŽles et/ou constructifs. Pour avancer sur le dĂ©bat autour de la question de la forme d’un graphisme se rĂ©clamant de la /rĂ©sistance/ contre-culturelle aujourd’hui, je citerai le trĂšs sympathique et intĂ©ressant Danny van den Dungen lui-mĂȘme. Dans Helvetica, le documentaire (http://www.helveticafilm.com/clips.html#), le co-fondateur d’Experimental Jet set se rĂ©clame effectivement de la subversion du modernisme, selon lui toujours active
 il distingue deux modernismes. Un modernisme tardif « fonctionnaliste et luthĂ©rien » qui façonne l’image de la modernitĂ© aujourd’hui, et un premier, celui des avant gardes, transgressif et rĂ©volutionnaire. C’est cet Ă©lan initial qu’il articule Ă  la fascination des membres du collectif vis-Ă -vis de l’expressivitĂ© de la « sous » ou « contre » culture des mouvement post-punk comme la new wave, le hard-core
. Il explique combien cette influence façonne leur travail mais, et c’est lĂ  peut-ĂȘtre que surgit mon Ă©tonnement, sans que cela se voit
 « When people now look at our work, they cannot see that influences anymore but it’s still there ».
    C’est prĂ©cisĂ©ment cette tension qui m’a frappĂ© entre une revendication des avant gardes transgressives (il cite dada, le futurisme, le surrĂ©alisme) et un usage des formes peut ĂȘtre assagies du modernisme tardif, tout motivĂ© par son adĂ©quation bien huilĂ©e au fonctionnement industriel internationalisĂ©. Tout concentrĂ© comme ce fut le cas d’Hoffman et Midienger Ă  dĂ©livrer la forme de l’Helvetica de tous les « accidents » de la grotesque dĂ©but de siĂšcle

    Peut ĂȘtre est-ce l’effet du tout possible de la post-modernitĂ© soi-disant dĂ©nuĂ©e de centre et d’idĂ©ologie. Peut ĂȘtre simplement une affaire de gĂ©nĂ©ration, chaque groupe culturel articulant en partie arbitrairement, mais aussi par logique d’opposition Ă  la gĂ©nĂ©ration prĂ©cĂ©dente, certaines formes Ă  certains contenus
 Ainsi la typographie « New wave » a-t-elle tentĂ© d’en dĂ©coudre avec la forme jugĂ©e vide du style international. Ainsi, les jeunes studios, comme notre trio hollandais, vont chercher ailleurs et y compris dans la rĂ©fĂ©rence du modernisme tardif

    Dans l’excellent Marie Louise n°2 de 2006 (http://www.fsept.net/edML.htm) que j’aurais dĂ» lire avec plus d’attention, le studio hollandais revendique d’abord l’influence thĂ©orique de Guy Debord. Celui qui a montrĂ© que /la contestation du spectacle devenait le spectacle de la contestation/ les aurait conduit Ă  ce refus des sĂ©ductions jugĂ©es aliĂ©nantes des images et de la pulsion scopique. Ensuite le trio renvoie Ă  la rĂ©fĂ©rence qualifiĂ©e de « punk minimaliste », et qui me paraĂźt plutĂŽt conceptuello-pop Ă  la John Baldessari, de Richard Prince (http://www.richardprinceart.com/painting_untitledjokes.html). Nottamment ses /Joke paintings/, genres de statements drolatiques en helvetica, ou ses sĂ©ries de photos typologiques de bikers sont dĂ©crites comme une « bouffĂ©e d’air Ă  une Ă©poque [celle de leurs Ă©tudes] oĂč, dans le graphisme, il n’y en avait que pour les compositions Ă  plusieurs niveaux, les typographies techno ou grunge, et les mises en page surchargĂ©es ».
    Peut ĂȘtre enfin, et c’est sans doute mon cĂŽtĂ© vieux con rĂ©actionnaire, Olivier Cena du Sud Morvan qui resurgit, que ce retour Ă  l’ordre des apparences du modernisme tardif peut aussi relever du formidable climat de pensĂ©e unique, sĂ©curitaire et policĂ©e qui rĂšgne depuis quelque temps et qui n’autoriserait, et y compris dans les champs qui se rĂ©clament de l’alternative, qu’une /tension cachĂ©e/


  2. Je pense que ce drapeau essaye de montrer que, malgrĂ© l’apparence froide du modernisme, son fond et sa portĂ©e profonde sont tout aussi gĂ©nĂ©reux et « playful » que la musique punk et rock en gĂ©nĂ©ral (dans son jeu des rĂ©fĂ©rences et dans son rapport Ă  l’auteur, par exemple). Le geste tente d’inclure une dĂ©marche musicale dans le mouvement moderniste plus qu’il ne cherche Ă  exacerber un contraste entre les deux. En ce sens, les t-shirts Ă©taient peut-ĂȘtre plus justes, et la force de l’oxymore du drapeau en floue peut-ĂȘtre l’interprĂ©tation. Du moins, c’est ce que je retiens de leurs nombreux propos Ă©crits sur le sujet. Ce qui est finalement le plus intĂ©ressant dans ce discours, c’est l’argumentation selon laquelle des aspirations similaires auraient amenĂ©es des esthĂ©tiques trĂšs diffĂ©rentes dans les deux disciplines. La similitude et les inspirations se limitant ici aux idĂ©es ou aux procĂ©dĂ©s et non Ă  la forme, raccourci que j’Ă©viterais.

    Pour formuler les choses plus directement, on pourrait croire Ă  votre analyse que les Experimental Jetset cherchent Ă  dĂ©crire graphiquement, dans l’ensemble de leur travail, le mouvement punk, ce qui n’est pas du tout le cas. Ils n’ont jamais prĂ©tendu appartenir Ă , ou nourrir le *mouvement* punk. Ils disent s’inspirer de – ou plutĂŽt s’identifier Ă  – la musique rock et non au graphisme qui accompagne le mouvement (ni plus de la photographie punk, d’ailleurs) – qu’il vaut mieux ici considĂ©rer sĂ©parĂ©ment.

    Au passage, notons que les Experimental Jetset se dĂ©fendent avec vĂ©hĂ©mence de toute forme d’ironie (post-moderne). J’hĂ©siterais donc Ă  leur attribuer un goĂ»t de la dĂ©rision, ou en tout cas de donner une intention de dĂ©rision Ă  leurs « calembourismes ».

    Pour conclure, je ne pense donc pas qu’ils expriment une appartenance Ă  une « anti-modernitĂ© irrĂ©solue et destructive ». Ils semblent au contraire souvent faire preuve d’une foie dĂ©terminĂ©e dans un modernisme constructif dont ils cherchent Ă  briser les a priori et Ă  Ă©largir la dĂ©finition.

  3. Juste pour rappeler que « Experimental Jet Set Trash and no Star » est le titre d’un album de Sonic Youth (1994), ces Ă©ternels jeunes New Yorkais ayant eux-mĂȘme toujours revendiquĂ© leur ascendance punk (et leur amour de Brigitte Fontaine). La pochette et le livret Ă©voquaient d’ailleurs les codes graphiques de leurs aĂŻeux.

    Les gĂ©nĂ©rations se suivent, etc…

  4. Il me semble que le graphisme « punk » des sex pisotls rĂ©alisĂ© par Jamie Reid n’est ni plus ni moins qu’une commande de leur manager/producteur Malcolm McLaren pour vendre des disques et surtout des produits dĂ©rivĂ©s. Ni plus ni moins que du business. Le style des jetset est pour moi plus radical et plus efficace.

  5. Merci pour ce commentaire lumineux.
    Je demeure pour autant Ă©tonnĂ© par l’écart et le lien posĂ© entre ces modernismes. Vous avez raison de souligner que la modernitĂ© est une façon de renouer avec une certaine scĂšne primordiale. Mais il y a au moins deux modernitĂ©s. Une modernitĂ© constructive et tendue vers une destinĂ©e et une anti-modernitĂ© irrĂ©solue et destructive qui est comme son pendant et sa caution. C’est de cette derniĂšre que me semblent relever les rĂ©fĂ©rences musicales que revendiquent nos amis hollandais et parisiens alors que leurs rĂ©fĂ©rences plasticiennes me semblent plutĂŽt liĂ©es Ă  la premiĂšre tendance. C’est humblement cette tension esthĂ©tique que je voulais relever fut-elle post-moderne. Il est vrai qu’on est pas Ă  une oxymore prĂšs dans ce milieu dĂ©pourvu de centre et de direction qu’est la post-modernitĂ© (ou la sur-modernitĂ©), et que c’est peut ĂȘtre aussi cela qui est intĂ©ressant, ou bien lĂ©nifiant

    😉

  6. N’est ce pas dans le modernisme artistique que s’exprime la contradiction selon laquelle le barbarisme des temps prĂ©-civilisationel n’est pas en opposition Ă  la sociĂ©tĂ© moderne et rationnel mais est en fait son mythe fondateur. “L’un des traits fondamentaux du modernisme artistique consiste Ă  discerner dans le processus mĂȘme de la modernisation, dans sa violence, le retour des modĂšles mythiques et barbares d’avant la civilisation”*

    La drapeau qui trĂŽne dans le studio des Experimental Jetset n’est pas un commentaire ironique ou mĂȘme satirique sur la vacuitĂ© du modernisme Ă  l’Ă©poque postmoderne, il signale que le modernisme est lui mĂȘme porteur des valeurs transgressives qu’il tente a dissimuler ou plus justement a rĂ©primer.

    La dĂ©finition du postmodernisme artistique est peut-ĂȘtre cette capacitĂ© a reconnaĂźtre que le barbarisme est inhĂ©rent Ă  la sociĂ©tĂ© moderne ou que le bourgeois est un punk qui s’ignore.

    * Slavoj Zizek (Vous avez dit totalitarisme?)

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J’avoue ĂȘtre surpris, depuis quelque temps, par cette façon qu’ont un certain nombre de graphistes nĂ©o-fonctionnalistes de se rĂ©clamer de la caution punk. Quand je parle de nouveau fonctionnalisme et je pourrais parler de nĂ©o-modernisme, je veux Ă©voquer le sens repĂ©rĂ© historiquement d’une Ă©conomie de la forme et de la subjectivitĂ© qui favorise en quelque sorte le « gute » signe et sa lisibilitĂ©.

Ainsi, tel studio français se dĂ©nomme-t-il explicitement Hey ho en rapport avec le cri de ralliement poussĂ© par les faux-frĂšres Ramones et qui scande leur tambour de guerre poĂ©tiquement appelĂ© Blitzgriek bop, mais n’en pratique pas moins un amour de la sobriĂ©tĂ© toute jansĂ©niste du signe. Ainsi, les hollandais d’Experimental Jet Set arborent-ils une passion invĂ©tĂ©rĂ©e envers les Cramps, Pixies et autres Specials (lire l’article Ă  ce sujet du Walker) tout en se situant aux avant-postes d’une sorte de retour Ă  l’ordre de la tradition objective et retenue du signe fort et de la forme concise.

Évidemment, cet amour de la brutalitĂ© du signe et ce rejet des sĂ©ductions de l’image peuvent renvoyer au dĂ©nuement radical d’une musique simpliste fondĂ©e sur trois accords, trois instruments et le dĂ©ni de tout effet virtuose. Pas de solo, format court, couplet-refrain


Certainement, cette forme apparemment rigoriste s’accompagne en sous-main de certains effets « dĂ©tonnants », d’une distanciation relevant d’une rhĂ©torique populaire et drolatique. On connaĂźt la passion des tee-shirts Ă©numĂ©ratifs idiots qui firent la gloire du collectif hollandais, son sens de l’humour et de la dĂ©rision. On connaĂźt la sensibilitĂ© de Julien Hourcade & Thomas Petitjean pour ce qu’on appela longtemps contre-culture : les gimmicks rock, la BD, le graffiti, le slogan politique
 Ce vocabulaire de rĂ©sistance qui s’exprima par exemple lors de l’exposition qu’ils proposĂšrent avec Pierre Hourquet Ă  la galerie Lazy Dog.

AssurĂ©ment les formes s’usent. Plus de trente ans aprĂšs son apparition, l’attirail punk fait l’effet d’un costume vide de sens. À l’heure du recyclage gĂ©nĂ©ralisĂ© des formes historiques et Ă  un moment oĂč les charmes de l’image et du maximalisme dĂ©goulinant s’épuisent, pourquoi ne pas s’affubler de ce genre de masque de carnaval pour cĂ©lĂ©brer la rigueur et l’efficacitĂ© de la forme ?

Je comprends d’autre part qu’on puisse se rĂ©clamer d’un mouvement ou subir une influence tout en se dĂ©marquant de certaines de ses naĂŻvetĂ©s et par exemple de son romantisme niais et forcené  Comme l’a dit je ne sais plus oĂč, Pierre Huyghe, lui mĂȘme un temps assez punky, on est sortis du temps de l’univocitĂ© du premier degrĂ©. J’ai dĂ©jĂ  commis, au sujet des truculents PleaseLetMeDesign, l’oxymore du fonctionnalisme fun


Je comprends enfin qu’on puisse observer, par une posture (ou une imposture) qui doit pas mal Ă  l’hĂ©ritage punk, un nihilisme de la nĂ©gaffirmation façon Stefan Bruggemann. Une critique de la possibilitĂ© de faire forme au delĂ  des Ă©noncĂ©s de la langue, de la typographie et des mots. Un langage conceptuel presque abstrait et consubstantiel Ă  la pensĂ©e et au rĂ©el
 No, No content, No end
 pourquoi pas : No fun


Mais force est de constater qu’on est, dans les pratiques des parisiens comme des nĂ©erlandais, assez loin de l’esthĂ©tique libertaire du rebut. De cette « BeautĂ© transgressive », d’abord prĂŽnĂ©e par Georges Bataille, avant d’ĂȘtre popularisĂ©e dans des milieux moins autorisĂ©s et savants par Johnny le pourri, Sid le vicieux, les Poux ou la pochette dĂ©gueulis des DamnĂ©s
 On est loin de la scĂšne primitive urgente, nihiliste, destructrice et proprement anti-moderne de Dada qui inspira Jamie Reid et sa stratĂ©gie du dĂ©tournement situationniste et du photomontage poppy.

Entendons nous bien : il ne s’agit pas pour moi de critiquer un travail cĂ©lĂ©brĂ© partout Ă  juste titre. Je participe volontiers, sincĂšrement et sans la moindre ironie au chƓur laudatif qui entoure le travail d’Hey ho ou d’Experimental Jet Set. Sans doute aurais-je du multiplier les exemples
 Je constate simplement, signe des temps, qu’aujourd’hui le discours qui se revendique de la rĂ©bellion est un discours apparemment policé 

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