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Pierre Leguillon, Tifaifai

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Pierre Leguillon, Tifaifai, photographie Aurélien Mole

Invité à participer à l’exposition « Langages, du dire au faire » de la Fondation Gulbenkian, c’est à l’architecture d’une petite folie du XIXe siècle, construite en lieu et place d’une chapelle par la Baronne de Rotschild, sur la parcelle de la dernière maison d’Honoré de Balzac, qu’a choisi de s’intéresser l’artiste Pierre Leguillon. Cette rotonde, habituellement fermée au public, n’est visible qu’en compagnie d’une personne chargée d’en raconter l’histoire, à heures fixes, selon un protocole réglé par l’artiste. C’est au fond d’un petit jardin semé de colonnes en ruines que se trouve ce bâtiment octogonal aujourd’hui désaffecté, qui contient encore le décor de l’ancienne chapelle. Les bizarreries et les expériences occultes auxquelles s’y livra le gendre de Balzac semblent constituer la trame de fond à l’intervention de Pierre Leguillon.

La rotonde, photographie Aurélien Mole

Épousant la forme octogonale de l’architecture, une structure de bois suspendue présente huit panneaux tendus de tissus à motifs géométriques. Chaque panneau sert de fond à une image de petit format, carte postale ou photographie, qui semble flotter en son centre. D’image en image se dessine une collection de bizarreries naturelles : algues et poissons démesurés, des éléphants accouplés, un dindon dont la tête entière s’enfouit sous une peau boursouflée. L’ensemble semble naître de la même pulsion que le cabinet qui l’abrite : ce désir de voir l’étrange, l’étonnant, le monstrueux. Quant au dispositif, il est plus complexe que ce qu’il ne semble au premier abord. Par l’action d’un mécanisme de cordes et de poulies, cette première forme octogonale se soulève pour révéler celle qui se cache à l’intérieur : une seconde structure de huit panneaux de tissus présentant à nouveau une série de photographies du même ordre.

Les tissus employés par Pierre Leguillon sont issus de kimonos japonais teints selon la technique traditionnelle de l’ikat, qui consiste à colorer les fils avant de les tisser. Cette technique a la particularité de « flouter » le motif, en raison des petits décalages qui se créent lors du tissage. Or, il s’avère que titre de l’ensemble, « tifaifai », désigne également une technique créole de décoration de tissus. Le tifaifai consiste à ajourer un premier pan de tissu uni selon un motif végétal, puis à le coudre sur un second pan de tissu d’une autre couleur. Dans les deux cas, l’image produite renvoie à son mode d’apparition : comment le motif émerge sur le pan de tissu, à l’instar de l’image photographique apparaissant sur le papier. En l’occurrence, c’est le moment du montage qui est central pour la technique polynésienne comme pour la technique japonaise, c’est-à-dire le moment où les deux éléments colorés en amont sont assemblés et révèlent le motif final.

Pierre Leguillon, Tifaifai, photographie Aurélien Mole

Pierre Leguillon, Tifaifai, photographie Aurélien Mole

Pierre Leguillon, Tifaifai, photographie Aurélien Mole

Avec cette installation, l’artiste recourt à un des gestes fondamentaux de son travail : celui de collectionner. Cependant, il semble attirer l’attention davantage sur le dispositif de monstration que sur la collection qui y est exposée. Celui qui n’a eu de cesse de réunir et de faire voir des images, à travers différents procédés comme le diaporama ou l’édition, porte ses recherches sur la manière dont les images nous apparaissent. Par sa taille et son élégance, l’installation de Pierre Leguillon, qui se dit inspiré par le Palais des Mirages du musée Grévin, rappelle la préciosité des objets du précinéma. Zootrope ou praxinoscope furent en effet inventés à l’époque de la rotonde et ne sont pas sans rappeler son architecture : une structure polygonale présentant une image sur l’intérieur de chacune de ses faces. En faisant tourner l’objet devant un point de vue fixe, l’image s’animait. Tout comme les diaporamas de Pierre Leguillon Tifaifai se comprend comme un dispositif de montage, un scénario en deux parties, accompagné d’une médiation exclusivement orale. Nul texte aux murs, ni dans la publication, ni feuille de salle : le montage final entre les images et les commentaires de l’hôtesse se tisse à chaque visite de la rotonde, dans le secret de ses huit murs.

Tifaifai – Pierre Leguillon
14 juin — 13 juillet 2013
Rotonde Balzac, 11 rue Berryer, 75008 Paris
Dans le cadre de l’exposition « Langages : entre le dire et le faire »,
Ă  la Fondation Calouste Gulbenkian.

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