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«Et hier l’oiseau de nuit s’est abattu sur la place du marché, en plein midi, huant et criant1.»

Les capacités auditives de la chouette hulotte sont dix fois plus développées que celles de l’être humain. Ce qui lui permet de chasser dans une nuit quasi complète. Voilà un symbole tout trouvé pour ceux dont le travail est d’écouter les conversations téléphoniques de leurs concitoyens.

Le GIC (Groupement interministériel de Contrôle), organisme chargé de pratiquer des écoutes téléphoniques «de sécurité» pour le Ministère de l’Intérieur, a présenté son nouveau logo le 15 juillet 2014.

Ce logo du Groupement Interministériel de Contrôle est présenté comme une nouveauté. Mais l’institution a été créée en 1960. Je n’ai malheureusement pas trouvé à quoi pouvait ressembler l’ancien logo, s’il y en avait un.

Inscrite dans une série de cercles consécutifs bleu sombre, blancs ou en somptueux dégradé tricolore, une chouette au regard sombre semble fondre sur sa proie. Sa cible est le sommet d’une sphère, qu’on peut supposer être la terre. Les griffes déployées vont bientôt se resserrer sur le pôle Nord alors que, sur la droite, le soleil levant commence à irradier l’image de sa lueur, donnant un effet «plaque de shérif» d’un goût aussi hollywoodien que le codage binaire à la Matrix qui recouvre le globe terrestre. Un second dégradé violacé permet de souligner la tête de l’oiseau (qui est bien une chouette, car elle ne possède pas d’aigrettes, les petites oreilles qui sont le propre des hiboux). Aux courbes très approximatives du volatile répondent la rigueur des capitales en caractère Futura. Probablement le Futura de la société Compugraphic, reconnaissable à sa morne cédille et qui, à défaut d’être aussi bien dessiné que l’original, se trouve gratuitement sur Internet. (La République doit faire des économies. À moins que ce ne soit ses graphistes? 29 €, c’est une somme.)

Le problème avec les symboles, c’est qu’ils ont souvent déjà servi.

Louis-Alexandre Gosset de Guines (1840-1885), Madame Anastasie en «une» de L’Éclipse, n°299, 19 juillet 1874. Source BNF.

La chouette représentait la sagesse chez les Grecs de l’Antiquité. Pour les Romains, par contre, elle buvait le sang des enfants pendant la nuit. Au Moyen-âge on s’en servait pour illustrer la rouerie et le mensonge: elle est le toutou des sorcières. Plus proche de nous, à la fin du XIXe siècle et dans les premières décennies du XXe, elle accompagne également Madame Anastasie. Le nom de cette vieille femme acariâtre vêtue de jaune ou de noir est un synonyme alors bien connu du mot censure. Alors qu’on la croie morte et enterrée, la censure ne cesse de ressusciter (en grec anastaino). Outre la chouette, son attribut principal est une paire de ciseaux, prêts à couper tout ce que le pouvoir ne saurait voir publié. L’une des premières représentations du personnage semble être l’œuvre d’André Gill dans L’Éclipse numéro 229 du 19 juillet 1874. Madame Anastasie (mais pas sa chouette) fait également la «une» du premier numéro du Canard enchaîné. Pour nos ancêtres pas si lointains, l’image était parlante : le chat-huantsymbolise « la nuit, les maléfices, les superstitions d’un âge reculé2».

Première «une» du Canard enchaîné, 10 septembre 1915.

Quant à la Direction générale de la Sécurité extérieure (DGSE, les services secrets français), elle a pour emblème un «rapace stylisé aux serres développées». (Des serres fort discrètes, cela dit.) Selon le site web de l’institution, cet animal «rend compte de l’efficacité, du caractère mondial de l’action du Service, et de ses capacités d’action». Le graphisme de ce logo est du même style que celui du GIC, à ceci près que les latitudes et longitudes du globe terrestre sont ici complètement chamboulées, ce qui le fait furieusement ressembler à une boule de pétanque. So French…

On conçoit aisément que des services secrets choisissent comme symbole un «rapace» (un «aigle» ferait trop américain – voire napoléonien –, un «faucon» ferait décidément mauvais genre). Il est plus étonnant qu’un organisme dont le travail est de procéder à des écoutes téléphoniques sans aucun contrôle des institutions judiciaires choisisse comme emblème un animal symbole d’obscurantisme…

1. « And yesterday the bird of night did sit. Even at noon-day upon the market-place, Hooting and shrieking », William Shakespeare, Julius Caesar, acte I, scène III, 1599. [↩]
2. Christian Delporte, « Anastasie : l’imaginaire de la censure dans le dessin satirique (XIXe–XXe siècles) » dans Pascal Ory, La censure en France à l’ère démocratique (1848–…), Éditions Complexe, Bruxelles, 1997, p. 89-99. [↩]