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Histoire d'O, publiée à 600 exemplaires par Jean-Jacques Pauvert en 1954

Histoire d'O chez FMR et illustrée par Guido Crepax (image via l'excellent article de Design&Typo, merci!)

Sade, numéro 12-13 de la revue Obliques, Nyons, 1977

On ne connaît finalement de Sade que très peu de portraits. Le plus connu est celui, imaginaire, peint par Man Ray, où la Bastille semble s’incarner dans un homme bouffi d’années emprisonné et qui finit ici par ressembler, par anticipation, à un Marlon Brando en afgacolor. Ce profil empierré répond à un autre, en jeune homme, par Charles van Loo, qui semble être le seul authentifié.

Celui qui signait D.-A.-F. Sade (pour Donatien Alphonse François) est plus connu sous le patronyme de divin Marquis — en référence au divin Arétin qui fut son prédécesseur et écrivit des Sonnets Luxurieux au XVIe — et pour ses textes licencieux et ses mÅ“urs qui l’envoyèrent souvent dans les prisons royales. Le XVIIIe ne fut pas tendre pour celui qui révéla la part violente et cruelle de l’érotisme et finit par donner son nom au sadisme (cf. le dictionnaire de Boiste en 1834).

Man Ray, Portrait Imaginaire de D.A.F. de Sade, 1938

Charles Amédée Philippe van Loo, Portrait de Donatien Alphonse Françoise de Sade, c.1760

Profil idéal de la pensée perverse, Sade incarnera ce Mal pendant plus de deux siècles avant d’être réhabilité entre autres par les Surréalistes. Il est amusant de noter que les armes de la famille de Sade représentent un aigle à deux têtes, privilège ancien accordé à ses ancêtres par le Roi de Hongrie et Bohème, qui pourrait symboliser le vice et la vertu, ou mieux les deux visages d’un écrivain loin des Salons et affrontant tant bien que mal une censure de tartuffes.

Armes de la famille de Sade

Grain terminal de chapelet en ivoire sculpté (XVIIIe siècle) (via Alain Truong)

Minos et son alter ego Minas, enfermée dans son visage. Actarus et sa métamorphose

Grain terminal de chapelet en ivoire sculpté (Espagne, XVIIe siècle) (via Alain Truong)

Pommeau de canne en ivoire (France, début XIXe siècle)

Ce double profil d’aigle c’est Sade et le Divin Marquis. Il fait penser, obsession oblige, à ces vanités curieuses en grains terminal de chapelet. Des sortes de reflets janusiens entre vivant et mort. Entre l’un et l’autre. Comme Goldorak et Actarus ou encore mieux, comme ce personnage de la même série animée: Minos. Ce commandant en Chef du camp de la Lune noire a pour particularité d’avoir une sorte de double personnalité, l’une visible et masculine et l’autre, enfermée et féminine, Minas, qui vit littéralement dans la tête de Minos.

Une évocation peut-être lointaine du Minos, Roi de Crète puis Juge des Enfers et père de Phèdre la femme fatale et prête à tout, même à tomber amoureuse de son beau-fils. Une histoire que le Marquis n’aurait pas renié, lui qui a fui avec sa jeune belle-soeur, la chanoinesse séculière Anne-Prospère de Launay. Il était tout pour elle et le Discours Parfait de Philippe Sollers souligne cette allégeance aveugle d’amoureuse fidèle en citant une des lettres écrite par Launay en 1769:

«Je jure à M. le marquis de Sade, mon amant, de n’être jamais qu’à lui, de ne jamais ni me marier, ne me donner à d’autres, de lui être fidèlement attachée, tant que le sang dont je me sers pour sceller ce serment coulera dans mes veines. Je lui fais le sacrifice de ma vie, de mon amour et de mes sentiments, avec la même ardeur que je lui ai fait celui de ma virginité, et je finis ce serment par lui jurer que si d’ici un an je ne suis pas chanoinesse et par cet état, que je n’embrasse que pour être libre de vivre avec lui et de lui consacrer tout, je lui jure, dis-je, que si ce n’est pas, de le suivre à Venise où il veut me mener, d’y vivre éternellement avec lui comme sa femme. Je lui permets en outre de faire tout l’usage qu’il voudra contre moi dudit serment, si j’ose enfreindre la moindre clause par ma volonté ou mon inconscience.»

 

Ce rapport de pouvoir se retrouve dans un livre sulfureux publié en 1954 par le très jeune éditeur Jean-Jacques Pauvert et écrit par Pauline Réage. Pauvert qui, soit dit en passant, fut d’ailleurs le premier à publier les oeuvres complètes du Marquis en commençant par la plus difficile: L’Histoire de Juliette (qui parue d’abord en 1797 et fut ensuite publiée partiellement par Apollinaire en 1912). Cela lui vaudra les poursuites de la Mondaine et un procès retentissant connu comme «l’Affaire Sade» où les surréalistes, Breton en tête, le défendront avec force.

Ce livre donc, Histoire d’O, écrit par Réage, pseudonyme de Dominique Aury, fut écrit comme une sorte de défi à Jean Paulhan dont l’auteure était amoureuse. C’est lui d’ailleurs qui écrira la préface du livre, subjugué par la liberté de ton et les références au sado-masochisme, sources de multiples interprétations. L’histoire d’O est l’inverse de L’Histoire de Juliette. Là où Sade dépeint une Juliette nymphoname et heureuse des prospérités du vice, Réage/Aury insiste sur le rapport dominant-dominé, maître-esclave, au coeur des années 50. Ces profils distincts se dessinent parfaitement et renvoient, en creux, à une vision du contexte et des moeurs de leurs époques respectives.

Lars von Trier, Manderlay, 2005

Judith Anderson dans Rebecca d'Hitchcock (1940). L'histoire se déroule dans la demeure ancestrale de Manderley, propriété de Maxim de Winter. Ce conte gothique traite de l'emprise d'une morte sur celui qui fut son mari, la nouvelle épouse et leur gouvernante longtemps après sa mort.

Dans sa préface à Histoire d’O, Paulhan évoque l’histoire d’une révolte. Son texte, Bonheur dans l’esclavage, raconte ce soulèvement d’esclaves de la Barbade qui luttèrent pour retrouver l’état de la servitude «après que leurs maître britanniques les eurent affranchis». Manderlay est ainsi le nom de cette plantation des Caraïbes anglaises où vivent ces esclaves affranchis en mal de maîtres. Il inspirera d’ailleurs le réalisateur danois Lars von Trier, pour son film éponyme qui prolonge le texte de Paulhan en approfondissant l’hypothèse du Bonheur dans la servitude. (cf. Le Monde, Nov. 2005)

On voit ici se dessiner des liens étranges entre notions d’esclavage, de punitions, de vertus viciées et de vices vertueusement récompensants. La forme plastique du profil semble d’ailleurs incarner parfaitement ces états doubles-faces où la douleur est preuve d’amour et inversement.

Silhouette Georg Heinrich Sieveking (1751-1799)

Jean Huber (1721-1786) et ses découpages de papiers

Caran d'Ache, L'Épopée, 1886 (via SD)

Kara Walker, African't, 1999

Kara Walker, installation de The End of Uncle Tom and the Grand Allegorical Tableau of Eva in Heaven (1995) (via Walker Art Center)

Le mot profil est, dans le domaine de l’analyse comportementale, utilisé pour décrire les caractéristiques du comportement d’une personne et ses motivations. Dans le domaine connexe du profilage criminel, il est compris comme une série d’indices. Il trace donc des portraits essentiels comme jadis la fille de Dibutade dessinait l’ombre de son aimé sur le mur…
L’art des portraits, dit à la silhouette, apparu à la toute fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle. Le nom viendrait d’Étienne de Silhouette qui pratiquait cet art de l’ombre. Il devint populaire surtout grâce aux tableaux en découpures du suisse Jean Huber.
Mais le mot profilage résonne surtout avec l’oeuvre de Johann Kaspar Lavater: l’Art de connaître les hommes par la physionomie qui fait la part belle à ces silhouettes aussi fidèles que des ombres…

Une filiation par anticipation est aussi possible entre les portraits d’Huber et les dessins de Caran d’Ache. Celui-ci présenta en 1886 un spectacle au cabaret du Chat Noir, L’Épopée, sur les conquêtes napoléoniennes. Un rappel du wayung indonésien (théâtre d’ombres) et des fantasmagories et surtout un récent et éclatant revival grâce au travail de Kara Walker qui explore les notions de races, de genre, de violence et de sexualité dans le sud Antebellum (en quelquesorte l’état initial dans Manderlay) au travers de ses silhouettes noires grandeur nature.

Dioscourides (?), Camée Auguste, (pierres du XIVe et XVIIe)

Portrait de Sade par Cieslewicz

Patrick McGoohan, Le Prisonnier, 1967-68

Le profil et la silhouette puisent donc dans cette puissance de l’ombre sous la forme de ces moitié de visages souvent triomphateurs comme sur les camées, version en bas-relief des silhouettes des Lumières. Une puissance de l’ombre qui était l’apanage de Sade qui en a arpenté les territoires pour finir enfermé, notamment au donjon de Vincennes en 1777. Selon l’usage dans les forteresses et prisons royales, il n’y sera plus qu’appelé par son numéro de cellule et deviendra Monsieur le 6 (on peut imaginer que McGoohan y fera un clin d’oeil féroce dans sa série au titre révélateur: Le Prisonnier).

Par une coïncidence (in)volontaire, le profil comme portrait indiciel s’incarne aussi chez les artistes fascinés ou pas par le Divin Marquis. Ainsi des portraits de Duchamp et Artaud par Man Ray qui sont des silhouettes solarisées et incroyablement perçantes.
Ou encore dans ce portrait en studio de Louise Brooks à l’époque de Pandora’s Box. Sa silhouette caractéristique de garçonne des roaring twenties sera d’ailleurs sublimée par Guido Crepax sous les traits de Valentina, version italienne d’une Juliette sadienne. Crepax, maître au même titre que Manara de la bande-dessinée érotique de ce côté-ci de l’Arno, illustrera d’ailleurs le Marquis de Sade et également l’Histoire d’O aux éditions FMR.

Man Ray, Marcel Duchamp solarized portrait, 1930 (© 2009 Man Ray Trust / Artists Rights Society (ARS), New York / ADAGP, Paris.)

Man Ray, portrait d'Antonin Artaud, 1926

Louise Brooks, Pandora's Box promo shoot, 1929

Pour finir sur O, une version filmée sera réalisée en 1975 par Just Jaeckin. Devant l’érotisme soft-porn reconnu du film, on ne peut que regretter qu’Henri-Georges Clouzot n’ait pas réussi à adapter le roman comme il l’envisageait. Son Enfer indiquant déjà combien, nécessairement plus brillante et plus perverse aurait été sa version du livre de Réage/Aury.
Une seule chose sauve ce film et c’est probablement son générique de début sous forme de conclusion ici. On y voit les visages en camée-silhouette des personnages du roman. Une manière de ne nous montrer qu’une de leurs facettes? En tout cas impossible d’y lire le moindre sentiment comme avec la méthode Ekmanienne. Le profil garde une part d’ombre bien à lui, indice infidèle et incomplet…

Piero della Francesca, Dyptique, ici le portrait de Federico de Montefeltro, duc d'Urbino (vers 1465)

Paul Ekman, Wallace Friesen & Joseph Hager, Facial Action Coding System (via Cabinet)

Bien sûr on dirait aussi que les semi-visages de ce générique ressemblent à une pochette pour Fleetwood Mac avec cette esthétique de l’époque pour les images floues et brumeuses (mais après chacun est libre d’interpréter)… Bref, les images-camées de ce générique sont aussi significatives que ces autres silhouettes dessinées par Oliver Klimpel pour le catalogue 2005 du département de photographie au Royal College of Art. Elles disent une certaine rétention des détails et paradoxalement un excès de ceux-ci. Le profil étant cette moitié du tout qui ne pourra jamais caractériser ce qu’elle ne montre pas et pourtant…

générique d’ouverture d’Histoire d’O (1975)

images du Royal College of Art, Photography Department Catalogue (2005). Images via Oliver Klimpel. merci!

images du Royal College of Art, Photography Department Catalogue (2005). Images via Oliver Klimpel. merci!

images du Royal College of Art, Photography Department Catalogue (2005). Images via Oliver Klimpel. merci!

 

Entrevue

Beauregard