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Bazooka, Moderne, quelque chose me fait peur

Dans le Art press d’Avril, Thibaut De Ruyter revient dans un très intĂ©ressant article sur cette actualitĂ© des formes modernes dans les langages artistiques, et il aurait pu parler aussi bien de graphisme. Ce que j’ai appelĂ© sans doute imprudemment un « retour Ă  l’ordre Â». C’est-Ă -dire un retour Ă  l’ordonnancement apparemment mesurĂ© et Ă©conome du vocabulaire de la modernitĂ©, en contraste des dĂ©gueulis punks, des saturations complexes new wave, des maximalismes impurs post-modernes… Ce que la Documenta 2007 dĂ©signait en posant la question « OĂą en sommes nous avec la modernitĂ© ? Â». Ce que la Documenta 12 Ă©voquait en s’interrogeant sur une dĂ©finition possible de la modernitĂ© en tant que notre Ă©ventuelle antiquitĂ©, soit l’horizon indĂ©passable de l’art de la Renaissance jusqu’à, justement, la rupture moderne…
 

Précisément, avec une rigueur dont je n’ai sans doute pas assez fait preuve, Thibaut de Ruyter rappelle que le vocable moderne fait preuve d’une singulière polysémie. J’avais tenté de dessiner, avec légèreté totalisante et réductrice, mais aussi avec une volonté simplement synthétique, en guise de repères, deux moments de la modernité des images.
Une première, nourrie de la volontĂ© d’en dĂ©coudre avec le canon latin ancien tout fait de narrations et de mythologies antiques. Ă€ la recherche d’un autre langage plus conscient de lui-mĂŞme. Ă€ la recherche d’autres filiations prĂ© ou an-historiques, c’est Ă  dire exogènes Ă  l’histoire officielle de l’Occident : les primitifs, les civilisations africaines, ocĂ©aniennes, ibères… On pourrait peut ĂŞtre d’ailleurs Ă©tablir un parallèle entre cette volontĂ© de rupture et celle de la Renaissance qui, pour sortir des « barbaries gothiques Â», s’en remet Ă  la pĂ©riode prĂ©cĂ©dent le moyen âge. Ă€ savoir un antiquitĂ© plus ou moins rĂŞvĂ©e. Celle romaine qu’on a plus ou moins sous la main. Celle grecque plus prestigieuse car plus ancienne et qu’on doit plus ou moins rĂ©inventer.

Une deuxième modernité que j’ai pu qualifier de modernité tardive, m’apparaissait ensuite dans les années 50, et notamment dans nos disciplines appliquées. Comme un effort d’institutionnalisation des formes tumultueuses du programme initial de destruction de la tradition artistique. Un retour du moderne à sa famille étymologique modeste ou modérée. Un travail de formalisation qui constituerait, dans la dynamique de reconstruction de l’Europe et dans sa suite d’une partie de la planète, comme une réponse aux déflagrations, réelles celles-là, de la seconde guerre mondiale. Une période d’établissement d’un langage utile à vocation industrieuse et internationale. Non pas seulement un retour à l’ordre de l’ancien régime comme ce fut le cas chez certains plasticiens à l’issue de la première guerre mondiale. Mais plutôt un ordonnancement sclérosant des formes de la nouveauté.
 

Mais cette description sommaire manquait de finesse, voire simplement de documentation et d’objectivité. Comme le souligne de Ruyter, il faut écrire modernité au pluriel. Cette modernité qui relève autant de catégories mentales et épistémologiques, que de genres du langage, ou de régions de l’histoire différentes voire concurrentes. Les historiens, de l’art ou pas, ont désigné par cette étiquette la période succédant au Moyen-Âge, à partir de dates variées succédant plus ou moins au milieu du XVe siècle. D’autres ont ainsi qualifié l’époque commençant par le coup de force des Demoiselles d’Avignon en 1907. Certains ont fait finir la période aux années 1920 quand d’autres y ont vu l’affirmation du mouvement en arts et en architecture. D’aucuns, lettrés, en ont appelé à ce titre à la figure de Baudelaire. D’autres ont défendu que, comme le classicisme, le modernisme est aussi une catégorie du système de la mode. Voire même que ces deux notions peuvent fusionner dans une nouvelle acception de l’indémodable.
 

Ce qui signifie aussi que la modernitĂ©, comme le dit de Ruyter, « a pris des rides Â» et qu’il faut l’affubler aujourd’hui d’un isme qui montre combien son emploi s’inscrit aujourd’hui dans un jeu de rĂ©fĂ©rence plus ou moins savant. Un logos pluriel qui peut, comme le souligne Sabine Bretwieser, commissaire de l’exposition Modernologies, Contemporary Artists Reserching Modernity and Modernism conduire Ă  un formalisme comme le système de la mode en raffole, un genre de nĂ©o-modernisme en forme de post-post-modernitĂ©, aussi bien qu’un genre de rĂ©tro-avant garde : l’idĂ©e que, dans notre Ă©poque ou toute idĂ©e de progrès et de futur apparaĂ®t presque comme une grossièretĂ©, le passĂ© moderne puisse ĂŞtre encore le lieu de nouvelles tendances, et des gisements de fond attenant, voire de possibles renouveaux, en tous cas d’un ressourcement.
 

Il faut en tous cas convenir que nombre de productions récentes se sont apparemment modernisées dans des citations explicites, plus ou moins distantes, plus ou moins critiques ou béates, plus ou moins détachées de leurs modèles, plus ou moins inventives. Des étagères Mondrian d’un Mathieu Mercier aux affiches très néo-avant-gardistes d’un Ludovic Balland et à tout ce climat de dénuement, de blancheur et de composition très typographiques, férues de grotesque bas de casse… on en a après la rigueur, le dénuement contrasté, les tumultes retenus de la vieille dame qui fut indigne et finit confondue dans les affectations momifiantes de l’esprit de sérieux…
 

Si cette modernitĂ© n’est pas tout Ă  fait une antiquitĂ©, il se pourrait bien qu’elle apparaisse un peu Ă  la manière dont l’antiquitĂ© semblait ressentie aux temps « modernes Â» de la Renaissance, de la RĂ©forme et des Lumières : soit un genre d’horizon Ă  l’aune duquel toute proposition se conçoit, et y compris dans ses perspectives de nouveautĂ© et de progrès. La modernitĂ© qui se posait non seulement comme une table rase mais aussi comme une sorte d’achèvement de l’histoire a pu paradoxalement rĂ©ussir son coup. Tout se qui se conçoit depuis semble ne pas pouvoir Ă©chapper Ă  son impulsion. La Renaissance ne s’appelle pas le post-moyen âge ou la nĂ©o-antiquité…
 

La modernitĂ© qui n’est pas simplement une affaire de formes et de langages mais aussi d’idĂ©ologie. L’état d’esprit pluriel de la modernitĂ© s’inscrit malgrĂ© toute sa complexitĂ© dans cette vieille idĂ©e 17e de la querelle des anciens et des modernes… L’idĂ©e que l’on peut se tourner vers un devenir. Que l’on Ă  autoritĂ© ou lĂ©gitimitĂ© Ă  s’inscrire dans un discours de la rupture dĂ©finissant un après et un avant. C’est bien cette mythologie de la modernitĂ©, fut-elle un des discours intĂ©ressĂ©s de la mode, qui me paraĂ®t justifier la vogue actuelle des rĂ©cits de la modernitĂ©. Un dĂ©sir sans doute nostalgique mais aussi tournĂ© « positivement Â» vers la possibilitĂ© d’un devenir, quand l’histoire semble inlassablement bĂ©gayer. Quand l’actualitĂ© pesante se dĂ©finit sans ailleurs… Les jeunes gens seront toujours modernes, mĂŞme si, depuis les annĂ©es 60, on peut les dire contemporains…

Peut être que cette nouvelle fascination des moments utopiques de la modernité, j’entends les avant-gardes autour des années 20 et le genre de bouquet final des années 60, renvoie à un impossible dépassement et à un fétichisme nostalgique impuissant. Peut-être aussi que ce désir, cette indéniable tension accouchera de véritables lendemains qui peuvent chanter. À suivre donc…
 

Illustration : Bazooka

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