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La femme de trente ans

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vue d’exposition, La Femme de trente ans, Art:Concept. Photo : Dorine Potel. Courtesy des artistes et Art : Concept, Paris

vue d’exposition, La Femme de trente ans, Art:Concept. Photo : Dorine Potel. Courtesy des artistes et Art : Concept, Paris

MalgrĂ© un titre clairement fĂ©minisĂ©, et la prĂ©sence de plusieurs fortes figures de femmes, l’exposition de Caroline Soyez-Petithomme Ă  la galerie Art : Concept, La Femme de trente ans, n’est pas une exposition particulièrement fĂ©ministe. Ni une exposition qui parle particulièrement des femmes. En ce sens, elle ne serait pas le pendant fĂ©minisĂ© « Cherchez la fille Â» de l’exposition actuelle du Mac/Val de Vitry-sur-Seine. Bien qu’elle soit traversĂ©e par les questions d’identitĂ© sexuelle, de trouble entre masculin et fĂ©minin, et des clichĂ©s existants sur l’un et sur l’autre, la « clĂ© Â» de l’exposition semble bien plutĂ´t se trouver dans l’idĂ©e d’invention d’une catĂ©gorie sociale, telle qu’elle est contenue dans la rĂ©fĂ©rence au roman de Balzac du mĂŞme titre, La Femme de trente ans.

Car, Ă  ce texte, rĂ©union de six nouvelles en un roman, a longtemps Ă©tĂ© associĂ©e l’idĂ©e selon laquelle Balzac aurait « inventĂ© Â» la femme de trente ans. Le texte se penche sur le parcours d’une femme dans la sociĂ©tĂ© du 19e siècle, et s’arrĂŞte tout particulièrement sur l’après-mariage, c’est-Ă -dire cet âge paradoxal oĂą la femme est au faĂ®te de sa beautĂ© et de sa force, mais socialement rĂ©duite Ă  une identitĂ© immuable – la femme de son mari. Balzac a le mĂ©rite d’être un des premiers Ă  s’être intĂ©ressĂ© Ă  ce moment de la vie de ses contemporaines, et Ă  aborder de façon très franche la question de la sexualitĂ© Ă  l’intĂ©rieur du mariage, et de la frustration sexuelle, amoureuse et sociale qui en rĂ©sulte. Julie, son personnage central, refuse de se rĂ©signer Ă  ne jamais rien vivre, et invente Ă  son Ă©chelle les conditions d’une nouvelle vie (extra-conjugale) et d’une libertĂ© chèrement payĂ©es Ă  la fin du roman.

Vue d’exposition, La Femme de trente ans, Art:Concept, Paris, photo : Dorine Potel courtesy des artistes et Art : Concept, Paris

Vue d’exposition, La Femme de trente ans, Art:Concept, Paris, photo : Dorine Potel
courtesy des artistes et Art : Concept, Paris

Les artistes rĂ©unis par Caroline Soyez-Petithomme ont, pour la plupart, la particularitĂ© de s’être « inventĂ©s Â» eux-mĂŞmes. La tonalitĂ© a priori fortement Ă©rotique de l’exposition – due en grande partie aux grands papiers peints de Marvin Gaye Chetwynd qui recouvrent la quasi- totalitĂ© des murs de la galerie â€“ n’est pas en contradiction avec cette affirmation : c’est notamment par le recours Ă  la figuration, Ă  la peinture, et Ă  l’érotisme que ces artistes se sont affirmĂ©s dans un milieu artistique qui s’en effarouche facilement. En tĂ©moigne la figure de Judith Bernstein, artiste amĂ©ricaine de 73 ans, proche des Guerilla Girls, dont l’œuvre a Ă©tĂ© tenue Ă  l’écart des expositions pendant de nombreuses annĂ©es avant qu’elle ne bĂ©nĂ©ficie très rĂ©cemment de la reconnaissance. Deux de ses Ĺ“uvres dans l’exposition reprennent un motif rĂ©current de son travail depuis les annĂ©es 70, celui d’un sexe-vis monumental, concrĂ©tisation visuelle de la brutale expression anglaise « to screw Â». DessinĂ©s Ă  grands traits de fusain sur une toile libre, les phallus de Judith Bernstein ont quelque chose d’échevelĂ© et de poilu qui Ă©voque aussi bien la violence de la reprĂ©sentation que celle de son auteur. Loin de s’effacer devant ces sexes dressĂ©s comme des armes (on pense aux Objets dĂ©sagrĂ©ables de Giacometti, chez qui l’acte sexuel est une blessure), Judith Bernstein accorde une place importante Ă  sa propre signature qui devient une partie intĂ©grante du dessin, traitĂ©e elle aussi Ă  coups de fusain dĂ©sordonnĂ©s.

Jean-Luc BLANC, Jeanne, 2015, huile sur toile, 80 x 60 cm, photo Dorine Potel

Jean-Luc BLANC, Jeanne, 2015, huile sur toile, 80 x 60 cm, photo Dorine Potel

On pense Ă©galement – peut-ĂŞtre pas par hasard â€“ Ă  l’arme Ă  feu que Marvin Gaye avait offerte Ă  son père trois mois avant que celui-ci ne lui tire dessus avec et ne le tue. Le phallus comme arme qui se retourne contre lui-mĂŞme. C’est sous l’étendard de cette Ă©toile dĂ©chue que s’est placĂ©e Alalia Chetwynd, en changeant son nom dans un premier temps pour Spartacus Chetwynd, puis dans un second temps (lorsque les proches avaient enfin avalĂ© la couleuvre et commencĂ© Ă  s’habituer Ă  ce prĂ©nom de gladiateur de la Rome Antique) pour Marvin Gaye Chetwynd. Symbolique acte, lĂ  aussi, d’auto-invention. « Je n’ai jamais eu de problème avec le prĂ©nom que m’ont donnĂ© mes parents Â» dit-elle Ă  un journaliste du Guardian. « Mais j’avais besoin d’un nom plus robuste Â». Elle ajoute plus loin : « les artistes devraient vivre de façon expĂ©rimentale, selon moi ; j’ai donc testĂ© cette idĂ©e facile Ă  mettre en place, histoire de voir ça donnerait. Â» Dans la galerie, les papiers peints de Marvin Gaye sont une digression sur la reprĂ©sentation des corps et de leurs parties, par collage de photographies en noir et blanc dĂ©coupĂ©es et assemblĂ©es avec humour. Une charmante guirlande de fesses de femmes blanches et rebondies se termine (comme sa plus belle perle) par les fesses noires et tout aussi rebondies d’un fĂ©tiche qui semble porter un string et qui dont le buste se prolonge dans la forme d’un pĂ©nis. L’artiste, qui s’est fait connaĂ®tre pour ses performances absurdes et grandioses et ses films dĂ©jantĂ©s, mĂŞle constamment masculin et fĂ©minin, moins par militantisme queer que par curiositĂ© et esprit d’expĂ©rimentation, dans une tradition plus surrĂ©aliste que politique.

Vue d’exposition, La Femme de trente ans, Art:Concept. Photo : Dorine Potel courtesy des artistes et Art : Concept, Paris

Vue d’exposition, La Femme de trente ans, Art:Concept. Photo : Dorine Potel
courtesy des artistes et Art : Concept, Paris

Sur cette toile de fond, la commissaire a rĂ©uni les peintures de Walter Robinson et de Jean-Luc Blanc, deux artistes qui explorent des directions bien diffĂ©rentes en travaillant pourtant Ă  partir de la mĂŞme matière d’images empruntĂ©es aux mĂ©dias. Jean-Luc Blanc prĂ©lève dans le cinĂ©ma, la publicitĂ©, les revues, les visages qui deviennent ensuite ses portraits et qu’il fait basculer dans l’étrange par l’interprĂ©tation en peinture et l’ajout de dĂ©tails (ici, le maquillage bleu de Jeanne, femme casquĂ©e au regard pĂ©nĂ©trant). Walter Robinson, cĂ©lèbre pour son activitĂ© de critique et fondateur d’Artnet, mais peintre mĂ©connu, ne cherche pas quant Ă  lui Ă  extraire les images qu’il reproduit en peinture de leur attrait banal et de leur Ă©rotisme mièvre. Mise en valeur de soi, selfie, autoportraits coquins avec ou sans sous-vĂŞtements ; on trouve beaucoup de femmes dans les peintures de Walter Robinson, qui (curieusement) ne vĂ©hiculent aucune critique, aucun point de vue sur la matière visuelle qu’il emprunte Ă  des sites Ă©rotiques.

Vue d’exposition, La Femme de trente ans, Art:Concept. Photo : Dorine Potel. Courtesy des artistes et Art : Concept, Paris

Vue d’exposition, La Femme de trente ans, Art:Concept. Photo : Dorine Potel. Courtesy des artistes et Art : Concept, Paris

A cet accrochage haut en couleur rĂ©pond la vidĂ©o d’Hedwig Houben, captation d’une lecture de l’artiste allongĂ©e sur un tapis Ă  poils longs en compagnie de deux sculptures de plasticine quasi-identiques, l’une noire (la « mauvaise Â» sculpture) et l’autre blanche (la « bonne Â» sculpture). L’artiste, stimulĂ©e par la prĂ©sence du public, interprète un texte Ă©crit du point de vue des deux sculptures qu’elle carresse nerveusement, faisant peu Ă  peu s’étendre sur l’une la matière mallĂ©able de l’autre. Si la frontière entre la bonne et la mauvaise sculpture s’efface peu Ă  peu, c’est que leur statut en tant qu’œuvres achevĂ©es importe moins que le dialogue qu’elles suscitent, au cours duquel Ă©merge l’idĂ©e que la sculpture de l’artiste, elle aussi, Ă©met un jugement sur ce qu’elles sont et sur l’entitĂ© qui les a crĂ©Ă©es (l’Auteur). Et contribue, ainsi, Ă  l’invention de la figure de l’artiste, catĂ©gorie socio-professionnelle, mythe, vocation, dont les contours sont aussi flous que la frontière qui passerait prĂ©tendument entre le masculin et le fĂ©minin.

***

La Femme de trente ans est visible Ă  la galerie Art : Concept jusqu’au 25 juillet 2015, avec Jean-Luc Blanc, Whitney Bedford, Judith Bernstein, Marvin Gaye Chetwynd, Lothar Hempel, Celia Hempton, Hedwig Houben, Tatiana Rihs, Walter Robinson ; commissaire de l’exposition : Caroline Soyez-Petithomme

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