Flux

Pas de commentaires

Ruthmòs

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *



Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Marcel Broodthaers, La Pluie (projet pour un texte). Performance réalisée et filmée en 1969 dans son jardin bruxellois rue de la Pépinière.

Marcel Broodthaers, La Pluie (projet pour un texte). Performance réalisée et filmée en 1969 dans son jardin bruxellois rue de la Pépinière.


 

Dans ses Problèmes de linguistique gĂ©nĂ©rale, Émile Benveniste s’intĂ©resse Ă  l’emploi curieux du mot ruthmòs pour qualifier la notion de « forme Â» et notamment lorsqu’elle s’applique Ă  la « configuration des signes de l’écriture Â», Ă  la description des lettres et des textes antiques grecs1.

En grec ruthmòs est Ă  la fois liĂ© Ă  la notion d’« Ă©coulement Â», de « flux Â», et Ă  celle peut-ĂŞtre contraire de « rythme Â» dans le sens d’intervalle, de durĂ©e et de rĂ©pĂ©tition heurtĂ©e que nous lui connaissons en français. Benveniste remarque que le mot est particulièrement prisĂ© des philosophes de l’atomisme, DĂ©mocrite et Leucippe et justement en qualifiant un « arrangement caractĂ©ristiques des parties dans un tout Â», une « disposition Â» dont la caractĂ©ristique « produit les diffĂ©rences des formes et des objets Â». Il note aussi son usage dĂ©cisif chez HĂ©rodote lorsque celui-ci parle de la transmission par Cadmos et les siens des lettres phĂ©niciennes aux grecs ioniens et de leur consĂ©cutive transformation2. Ruthmòs « signifiant littĂ©ralement ‹ manière particulière de fluer â€ş [aura] Ă©tĂ© le terme le plus propre Ă  dĂ©crire des ‹ dispositions â€ş ou des ‹ configurations â€ş3 sans fixitĂ© ni nĂ©cessitĂ© naturelle et rĂ©sultant d’un arrangement tout prĂŞt Ă  changer Â» conformĂ©ment Ă  la doctrine du flux atomiste.

« Mais, dans la suite des temps, ces lettres changèrent avec la langue, et prirent une autre forme [ton ruthmon tĂ´n grammatĂ´n]. Les pays circonvoisins Ă©tant alors occupĂ©s par les Ioniens, ceux-ci adoptèrent ces lettres, dont les PhĂ©niciens les avaient instruits, mais ils y firent quelques lĂ©gers changements [metarruthmisantes]. Â»
HĂ©rodote, Histoire4

BenvĂ©niste s’intĂ©resse ensuite Ă  la transformation dans l’acception « moderne Â» du terme qu’il situe au mitan du Ve avant notre ère avec une nouvelle dĂ©finition musicale, chorĂ©graphique et mĂ©trique amenĂ©e par la logique formelle idĂ©aliste de Platon.

« Cet ordre dans le mouvement a précisément reçu le nom de rythme, tandis qu’on appelle harmonie l’ordre de la voix […] »
Platon, Les lois

Il ne nous est pas indiffĂ©rent que cette question du rythme soit aussi au cĹ“ur de la technologie mĂ©morielle des cultures orales du poème lyrique mythique. Des formules et des carrures des anciennes traditions grecques en train de se reconfigurer avec l’affirmation au Ve avant notre ère d’une nouvelle culture « logique Â» de l’écrit. Un rythme qui est celui du rhapsode graphiste chantant, « recousant Â» et inscrivant dans les mĂ©moires du plus grand nombre les textes premiers plus ou moins Ă©tablis des aèdes et de la culture traditionnelle.
On se rappelle aussi qu’Henri Meschonnic qualifie le rythme comme le propre du discours, c’était-à-dire de l’écriture inscrite – même s’il n’y intègre pas les questions typographiques (Henri Meschonnic, Poétique du traduire, Verdier, Paris, 1999).
 


 

Nous ne sommes pas non plus insensibles au fait que cette rationalité chiffrée qui s’affirme dans les discours logocentristes avec cette supériorité analytique de l’alphabet occidental, promesse de toutes les sciences et de tous les progrès techniques, elle aboutisse, il y a peu, avec les puissances du calcul numérique, à une nouvelle forme de rythme de l’écrit. Ainsi les programmes (typo)graphiques d’un Karl Gerstner, d’un Donald Knuth ou de Dexter Sinister, ils aboutissent à un flux, à une forme qui est une danse, à un passage des potentialités toujours arbitraires du chiffre et de la fermeture de la forme, à la définition possible de la forme comme rythme, comme écriture de flux.
 


 

  1. Émile Benveniste, « La notion de rythme dans son expression linguistique Â», Problèmes de linguistique gĂ©nĂ©rale, Gallimard, 1966, pp. 327-335 []
  2. HĂ©rodote, Histoire, V, 58 []
  3. et on a envie d’ajouter des ‹ compositions â€ş dans le sens (typo)graphique du terme []
  4. Hérodote, Histoire, V, 58, trad. Larcher, Charpentier, Paris, 1850, http://remacle.org/bloodwolf/historiens/herodote/terpsichore.htm consulté le 01.09.2019 []

Meta

Entrevue

Beauregard