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Zédélé, collection « Reprint »

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Peter Downsbrough, Notes on Location (1972), Brest, Zédélé, 2012.

« Un livre d’artiste est un livre ordinaire »1, « [un] livre (comme n’importe quel autre) qui se trouve être conçu par un artiste »2, « accessible pour tous à un bas coût »3. Si tel est le cas, pourquoi les livres d’artistes des années 1960 et 1970, difficilement accessibles du fait de l’épuisement de leur tirage, ou atteignant parfois des prix exorbitants lorsque des exemplaires sont disponibles sur le second marché, ne sont-ils pas réédités ? Lorsqu’un roman ou un essai est épuisé, il est pourtant d’usage de le rendre de nouveau accessible si une demande existe.

C’est en faisant ce constat, et pour valider le projet du livre d’artiste (celui d’être de l’art tout en étant un livre comme n’importe quel autre), que les éditions Zédélé (Brest), en la personne de Galaad Prigent, ont récemment entrepris de rééditer des livres d’artistes historiques au sein d’une collection intitulée « Reprint » et dont la direction est assurée par deux des principaux spécialistes de l’histoire de cette pratique et des enjeux théoriques qui s’y rapportent : Anne Moeglin-Delcroix et Clive Phillpot.

Ainsi que l’annonce l’éditeur, « La collection Reprint se propose d’abriter la réédition d’un certain nombre de livres d’artistes parus depuis le début des  années 1960 et dont les auteurs comptent maintenant parmi les figures pionnières de l’histoire de l’art contemporain. Quoique presque toujours animées par le désir de rendre l’art plus accessible en utilisant le support du livre comme moyen de création à part entière, beaucoup de ces publications ont en réalité peu circulé et sont maintenant devenues très rares, voire introuvables si ce n’est à des prix spéculatifs qui en contredisent l’intention initiale.
L’intérêt actuel des jeunes artistes pour le médium du livre, dont témoigne une abondante production, tout comme la reconnaissance publique du livre d’artiste, attestée par la multiplication des salons et autres manifestations en France et à l’étranger, plaident en faveur d’une remise à disposition des œuvres qui ont marqué son histoire depuis cinquante ans, à destination d’un lectorat aujourd’hui fortement demandeur. Toutes les possibilités sont ouvertes, du fac-similé à la refonte en passant par l’adaptation en français, dans le plus grand respect des intentions initiales et, chaque fois que possible, en étroite collaboration avec l’artiste qui en est l’auteur. »4

Peter Downsbrough, Notes on location (1972), Brest, Zédélé, 2012.

Lawrence Weiner, GREEN AS WELL AS BLUE AS WELL AS RED (1972), Brest, Zédélé, 2012.

Quatre livre composent à ce jour la collection : Notes on Location (1972) de Peter Downsbrough, série de notes schématiques sur l’expérience de l’espace, que l’on peut lire en particulier en rapport à l’expérience de l’espace du livre, et qui constitue pour ainsi dire la matrice de tout le travail éditorial de l’artiste depuis plus de quatre décennies ; GREEN AS WELL AS BLUE AS WELL AS RED (1972) de Lawrence Weiner, lieu d’inscription d’une série de statements dont la variation se déploie dans la séquence des pages ; South America (1972 encore) de Richard Long, recueil de motifs stylisés tracés par l’artiste au cours d’une marche à travers la Bolivie, le Pérou et le Chili ; wit-white (1980, réédition de la troisième version d’un livre dont la première réalisation date en fait de 1960) d’herman de vries, livre total, universel et parfait à sa manière car intégralement vierge, ses 352 pages restant vides de toutes inscriptions, jusqu’à la couverture elle-même, puisque tout le paratexte (titre, court texte de l’artiste, mentions d’édition) y est rejeté sur un bandeau amovible.

herman de vries, wit-white (1980), brest, zédélé, 2012.

herman de vries, wit-white (1980), brest, zédélé, 2012.

D’une façon générale, le paratexte des quatre éditions fait l’objet d’une réelle attention car derrière l’aspect informatif de cette catégorie du texte émerge des enjeux de fond. Comment, par exemple, rendre compte du travail du rééditeur et du statut de réédition sans placer la nouvelle parution dans un rapport de reproduction ou de document vis-à-vis de l’édition initiale, qui bien que chronologiquement première, ne saurait être considérée ici comme un « original » ? La quatrième de couverture de Notes on location apporte une réponse possible et discrète :

Peter Downsbrough, Notes on Location (1972), Brest, Zédélé, 2012.

La première édition tout comme la seconde ont la même légitimité et la même valeur eut égard au projet de l’artiste, et toutes deux sont deux versions « originales » d’une Å“uvre intrinsèquement reproductible et rééditable.

D’autres part, toujours au rang du paratexte, il est apparu que ces éditions pouvait s’enrichir d’un appareil critique pour accompagner leur réédition. Mais cet appareil s’inscrit alors à la surface d’un encart ou d’un marque-page, de sorte à ne pas s’indexer dans l’espace même de l’Å“uvre imprimée. Ce choix est récurrent dans les livres d’artistes publiés par Zédélé, mais dans le cas présent, le report de l’appareil critique hors de l’espace du livre à proprement parler ne vise pas seulement à distinguer matériellement l’espace de l’Å“uvre et l’espace du commentaire, mais aussi, ce faisant, à ne pas transformer le livre réédité en document, qu’on pourrait considérer d’un regard différent vis-à-vis de la première édition.

Rééditer, et non pas reproduire (au sens que ce terme revêt traditionnellement dans le champ de l’art), tout l’enjeu de la collection « Reprint » est là. Au demeurant, rééditer ne signifie pas forcément refaire à l’identique. Quarante ans après les premières éditions, cela est parfois simplement impossible d’un point de vue technique (disponibilité des papiers, des encres, etc.). Alors il s’agit de viser non pas le même, mais l’équivalent (d’ailleurs parfois plus adéquat aux intentions initiales de l’artiste), à comprendre au sens strict : ce qui est de même valeur, et qui peut donc être perçu au même titre.

  1. Éric Watier, « un livre est un livre », http://www.ericwatier.info/ew/index.php/15-octobre-2007-suicide/. Ulises Carrión remarque toutefois que les livres d’artistes « n’ont que l’air ordinaires. Ils ne le sont pas », Ulises Carrión, « Other Books », Quant aux livres / On Books, Genève, Héros-limite, 1997, p. 99. []
  2. Allan Kaprow in « Statements on artists’ books by fifty artists and art professionnals connected with the medium », Art-Rite, n°14, hiver 1976-77, p. 9, ma traduction. []
  3. Sol LeWitt in « Statements on artists’ books by fifty artists and art professionnals connected with the medium », Art-Rite, n°14, hiver 1976-77, p. 10, ma traduction. []
  4. http://www.editions-zedele.net/reprint/accueil.html []

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