Flux

Meta

Pas de commentaires

Notation alternative / musique continue (2/3)

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *



Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Une premiĂšre rĂ©ponse au caractĂšre universel de la musique Ă©crite traditionnelle tient dans une position opposĂ©e et spĂ©cialisĂ©e. Celle-ci tient compte de l’obligation d’adapter la notation pour la pratique ou l’instrument. Ce n’est qu’au XVe siĂšcle que ce dernier s’affranchit de la voix et s’empare du rĂŽle soliste. Il peut jouer la mĂ©lodie seule ou s’associer Ă  la voix, mais sans jouer la mĂȘme chose. L’accompagnement instrumental harmonique, c’est-Ă -dire les accords, et cette nouvelle autonomie entraĂźnent le dĂ©veloppement et l’essor, trois siĂšcles durant, d’une notation originale initialement propre aux instruments populaires Ă  cordes pincĂ©es comme le luth, la guitare ou encore le cistre: c’est la tablature.

Son dĂ©veloppement comporte trois temps: son apparition, sa disparition, puis sa rĂ©activation. Le systĂšme tablature indique, sur une reprĂ©sentation schĂ©matisĂ©e des parties d’un instrument, les doigtĂ©s et le rythme. Les informations qu’elle contient sont diffĂ©rentes de celle de la partition au sens oĂč la tablature prend en compte les spĂ©cificitĂ©s de l’instrument et qu’elle permet soit de simplifier l’exĂ©cution soit d’informer l’interprĂšte sur l’utilisation prĂ©cise de l’instrument. Par exemple avec quels doigts de la main droite il faut lever ou rabattre la corde ou comment les faire sonner. Ce n’est plus la musique jouĂ©e mais le rapport Ă  l’instrument qui est dĂ©sormais mis en avant. Dans l’Europe, de trĂšs nombreux livres de tablatures voient le jour, comprenant des transcriptions de messes et de motets, de chansons françaises, de madrigaux, mais aussi des danses. Toutefois, la naissance de la tablature, ne se traduit pas immĂ©diatement en un systĂšme simple et unique partagĂ© par tous les pays. On distingue en effet diffĂ©rents types de tablatures, jusqu’à trois diffĂ©rents pour le luth au dĂ©but du XVe siĂšcle.1 La tablature italienne prĂ©sente une portĂ©e Ă  cinq ou six lignes, figure les cordes du luth et porte des chiffres indiquant au musicien la case sur laquelle il doit mettre le doigt de la main gauche. La corde la plus aiguĂ« se trouve en bas. Le rythme Ă  suivre est Ă©crit au-dessus de la tablature.

La tablature de luth italienne, ici présentée avec le Ave Maria de Bartolomeo Tromboncino, vers 1521, est trÚs proche du modÚle actuel. Les chiffres déterminent les cases sur les cordes représentées par les lignes.

La tablature de luth italienne, ici présentée avec le Ave Maria de Bartolomeo Tromboncino, vers 1521, est trÚs proche du modÚle actuel. Les chiffres déterminent les cases sur les cordes représentées par
les lignes.

La tablature française partage les mĂȘmes caractĂ©ristiques que la prĂ©cĂ©dente mais la corde la plus aiguĂ« se trouve cette fois-ci en haut et les chiffres sont remplacĂ©s par des lettres: a pour corde Ă  vide, b pour la premiĂšre case, etc. C’est Ă  l’époque la tablature la plus rĂ©pandue.

Cette tablature de luth française de Pierre Guédron, Si le parler et le silence de 1608 fonctionne comme la tablature italienne mais remplace les chiffres par des lettres.

Cette tablature de luth française de Pierre Guédron, Si le parler et le silence de 1608 fonctionne comme la tablature italienne mais remplace les chiffres par des lettres.

Enfin, la tablature allemande propose un systĂšme diffĂ©rent puisque les cordes de l’instrument ne sont pas figurĂ©es. Chaque position est reprĂ©sentĂ©e Ă  l’aide d’un signe particulier que le musicien doit savoir dĂ©coder.

 

La tablature de luth allemande du début du XVIe siÚcle ne représente pas les cordes mais les positions de jeu par combinaison de traits.

La tablature de luth allemande du début du XVIe siÚcle ne représente pas les cordes mais les positions de jeu par combinaison de traits.

Cette tablature est mise au point par l’organiste aveugle Konrad Paumann (1410-1473). Bien qu’il soit difficile de croire qu’un homme aveugle puisse ĂȘtre Ă  l’origine d’une notation, c’est prĂ©cisĂ©ment son handicap qui est Ă  l’origine de cette Ă©criture2 . Il faut imaginer une leçon de luth donnĂ©e Ă  un Ă©lĂšve aveugle. Il ne peut pas lire. Certes il peut Ă©couter son maĂźtre jouer, mais il ne peut pas savoir comment. Pour chaque note le maĂźtre doit lui fournir deux types d’information: le chƓur (la corde) et la frette (l’endroit sur le manche oĂč se place le doigt). Il serait beaucoup plus facile de communiquer seulement une chose, pas deux. Par consĂ©quent le maĂźtre ne dit pas, «le deuxiĂšme chƓur et la quatriĂšme frette» ; il dit tout simplement, «t». De cette façon la dictĂ©e des notes va trĂšs vite, et avec concision. Toutefois le systĂšme, hybride et codifiĂ©, est abandonnĂ© au XVIIe siĂšcle au profit de la tablature française. L’apparition de cette notation de la musique passe, Ă  l’époque, pour le novice encore plus mystĂ©rieuse que la partition classique. À partir du XVIe siĂšcle, les maĂźtres de musique appellent tablature les airs notĂ©s qu’ils donnent pour leçons Ă  leurs Ă©coliers. On dit Ă  l’époque, en gĂ©nĂ©ral, «donner de la tablature» pour enseigner ou instruire, parce que l’enseignement de la musique, vu la diversitĂ© des mĂ©thodes, semble offrir une suite de secrets presque impĂ©nĂ©trables, ce qui dĂ©place bientĂŽt cette expression dans le sens de causer de la peine ou du souci.3  On dit aussi d’un homme capable d’enseigner, qui en sait beaucoup, qu’il donnera longtemps de la tablature. Tablature devient synonyme de difficultĂ©, d’effort. Cette expression dans la conversation familiĂšre atteste bien de la conscience que la population avait autrefois du grand travail et du prix auquel s’achetait la science musicale. D’ailleurs, la tablature se dĂ©mocratise largement au-delĂ  du luth, jusqu’à ĂȘtre adaptĂ©e pour de nombreux instruments trĂšs populaires, de la harpe Ă , plus tardivement, la flĂ»te Ă  bec.

La tablature de harpe celtique du XVIIe siĂšcle combine les Ă©critures verticale et horizontale.

La tablature de harpe celtique du XVIIe siĂšcle combine les Ă©critures verticale et horizontale.

La tablature de flûte à bec de la fin du XVIIe siÚcle partage beaucoup de traits communs avec la tablature de luth.

La tablature de flûte à bec de la fin du XVIIe siÚcle partage beaucoup de traits
communs avec la tablature
de luth.

La tablature pour orgue du début du XVIe siÚcle est visuellement plus proche de la partition.

La tablature pour orgue du début du XVIe siÚcle est visuellement plus proche
de la partition.

En regard de la partition, la tablature se dĂ©veloppe trĂšs vite et se gĂ©nĂ©ralise en Ă  peine plus de deux siĂšcles. Les musiciens la dĂ©laissent pour revenir progressivement Ă  la partition au cours du XVIIe siĂšcle. La raison est simple: cette derniĂšre se stabilise mais surtout, elle livre ses derniers outils qui finissent d’en parfaire les bases et la rendent plus intĂ©ressante pour Ă©crire mais surtout diffuser la musique. Le systĂšme de barre de mesure se dĂ©mocratise. L’écriture de la danse le partage aussi. La lecture du rythme est ainsi objectivĂ©. De plus, l’emploi de ce signe va de pair avec un principe de mise en page utilisĂ© pour la disposition dite en partition des diffĂ©rentes voix ; les unes au-dessus des autres. La ligne est ainsi justifiĂ©e comme un bloc de texte typographique. Les diffĂ©rentes notes alignĂ©es verticalement sont donc simultanĂ©es. La double barre marquant la fin d’une section ou piĂšce apparaĂźt Ă©galement. La partition rĂ©pond dĂ©sormais pleinement au concept de systĂšme notationnel: la matĂ©rialitĂ©, la visibilitĂ©, la lisibilitĂ©, la performativitĂ©, le caractĂšre systĂ©mique en constituent les cinq critĂšres prĂ©cis, Ă  la fois pratiques et thĂ©oriques.4

Enfin, l’imprimerie s’empare pleinement de la musique Ă©crite, la tablature lui ayant permis de poser les bases techniques de l’impression de la musique. Les Ă©lĂ©ments sont dessinĂ©s sur des poinçons mobiles et combinables.

Cet extrait d’une tablature de luth de 1507 est imprimĂ© par Ottaviano Petrucci en double passages successifs : d’abord les lignes, puis les chiffres.

Cet extrait d’une tablature
de luth de 1507 est imprimĂ© par Ottaviano Pretucci en double passages successifs: d’abord les lignes, puis les chiffres.

La composition (typographique) n’en est que facilitĂ©e. Enfin, les dessins s’affinent. Le rond des notes laisse place Ă  la forme ovale: moins gĂ©omĂ©trique, il est plus lisible sur la ligne quand il y a beaucoup de notes au mĂȘme endroit, Ă  l’image des alphabets italiques, dĂ©veloppĂ©s deux siĂšcles auparavant pour optimiser le nombre des lettres par ligne. Le retour Ă  la partition se fait donc naturellement sans pour autant Ă©limer les autres modes d’écriture.

C’est en miroir Ă  la musique du XXe siĂšcle que la tablature va rĂ©apparaĂźtre et subir de profondes mutations. L’apparition des nouveaux instruments contemporains, ou plutĂŽt l’évolution de leur forme classique jusqu’à celle qu’on leur connait aujourd’hui, a permis l’essor de tout un pan de la musique du XXe siĂšcle. Cela va de pair avec sa diffusion. La tablature se perpĂ©tue ici, au travers de la musique populaire et de ses instruments.5

L’exigence attendue pour l’exĂ©cution d’un tel type de musique (que ce soit pour le chant ou l’instrumental) ne rĂ©clame pas l’intĂ©gralitĂ© des moyens proposĂ©s par la partition. La tablature propose suffisamment d’outils et surtout un systĂšme simplifiĂ© et peu Ă©tendue pour en faire l’écriture privilĂ©giĂ©e de bien des instruments accessibles au plus grand nombre. Elle va mĂȘme dĂ©velopper des outils exclusifs trĂšs efficaces. De nos jours, la tablature est notamment utilisĂ©e pour la notation musicale de la guitare, de l’accordĂ©on diatonique, ou encore de la batterie. Elle suscite un engouement particulier pour de nombreux musiciens qui retrouvent dans cette notation des techniques de jeu inexistantes ailleurs, ni dans d’autres notations, ni dans d’autres musiques parfois.

En effet la musique se libĂšre de nombreux interdits. Un exemple important reste celui du triton. L’ouvrage de Dominique Bertrand6  qui lui est consacrĂ© nous prĂ©sente un accord de quinte diminuĂ©e considĂ©rĂ© Ă  la fin du Moyen Âge comme dangereux, trop dur Ă  l’oreille, et considĂ©rĂ© comme l’expression musicale du Diable. L’accord prend alors le nom de Diabolus In Musica et l’Inquisition aurait fait brĂ»ler des musiciens ayant jouĂ© cet accord. Il est rĂ©introduit progressivement dans la musique occidentale au dĂ©but du XVIIe siĂšcle et popularisĂ© notamment par Bach et d’autres compositeurs baroques. Maintenant, le triton est abondamment utilisĂ© dans le hard rock comme le jazz manouche, sans aucun risque de brĂ»lure.

Si le triton ne possĂšde pas de notation particuliĂšre, de nombreuses pratiques contemporaines se sont naturellement dotĂ©es de signes au sein de la tablature. Par exemple, le bend est une technique assez rĂ©cente consistant Ă  pousser une corde pour la contraindre Ă  une note souhaitĂ©e. Cette pratique autrefois peu conventionnelle est dĂ©sormais intensĂ©ment utilisĂ©e dans le rock par exemple mais surtout reprĂ©sentative de la nouvelle relation du musicien Ă  son instrument qu’il n’hĂ©site plus Ă  torturer pour le faire «crier» 

Un bend ( de l’anglais tordre ) est la technique qui consiste à contraindre une note en tirant sur la corde.

Un bend (de l’anglais tordre) est la technique qui consiste à contraindre une note en tirant sur la corde.

La tablature prĂ©sente donc un nouvel Ă©ventail de possibilitĂ©s avec un avantage indĂ©niable: une instantanĂ©itĂ© de l’exĂ©cution. L’absence de dĂ©chiffrage et l’utilisation de signes faisant Ă©cho au geste procurent aussi un plaisir de jeu immĂ©diat.

Une notation possible de la technique du bend se dessine Ă  l’aide d’une flĂšche montant de la note jouĂ©e vers l’écart demandĂ© ( ici +1 ton ) et reproduit graphiquement le geste des doigts sur le manche. ( Ici, les deux premiers bends du chorus de guitare du morceau Money de Pink Floyd )

Une notation possible de la technique du bend se dessine à l’aide d’une flùche
montant de la note jouĂ©e vers l’écart demandĂ© (ici +1 ton) et reproduit graphiquement le geste des doigts sur le manche. (Ici, les deux premiers bends du chorus de guitare du morceau Money de Pink Floyd)

La musique classique continue d’employer jusqu’à aujourd’hui la partition, en adĂ©quation avec les instruments qui l’ont accompagnĂ© dans son dĂ©veloppement. La musique contemporaine de son cĂŽtĂ©, explore d’autres moyens d’écrire les nouveaux modes de jeu, non employĂ©s ou peu dĂ©veloppĂ©s auparavant (avec la partition graphique, par exemple). Ce qui peut passer pour un dĂ©faut du systĂšme de la tablature, Ă  savoir le manque d’informations sur les Ă©lĂ©ments thĂ©oriques d’un morceau, reste souvent muet. En effet, la tablature est quasiment dĂ©diĂ©e au rĂ©pertoire populaire, une musique diffusĂ©e et largement Ă©coutĂ©e. Ainsi, il n’est pas rare que ce qui est jouĂ© (et lu) soit dĂ©jĂ  connu par le musicien, au moins d’oreille. La tablature peut donc pleinement remplir son rĂŽle, en dĂ©pit de tous ses manques. Elle convoque ainsi d’autres capacitĂ©s comme la mĂ©moire auditive ou la mĂ©moire de position


Le fonctionnement de la tablature pose des bases trĂšs simples et s’inscrit dans une pratique contemporaine et populaire. À la diffĂ©rence des partitions, la tablature est une reprĂ©sentation physique des gestes Ă  effectuer afin de jouer un morceau. Cette simplification offre l’avantage de faciliter l’apprentissage, mais apporte l’inconvĂ©nient de perdre beaucoup d’informations sur ce qui est jouĂ©. La tablature indique tout de suite oĂč et quoi jouer. Il est possible d’accomplir «bĂȘtement» une suite de mouvements, sans forcĂ©ment comprendre ce qui est jouĂ©. Autant de lignes que de cordes (six pour la guitare, quatre pour la basse
) et les chiffres indiquent les cases qu’il faut jouer. Pour la lire correctement, il faut toutefois quelques explications supplĂ©mentaires. Les cordes graves sont situĂ©es en bas, les cordes aiguĂ«s en haut. Cela respecte la tradition ancestrale de toute forme d’écriture musicale oĂč on place les graves en bas, mais aussi le point de vue du musicien sur son instrument. Les cordes sont gĂ©nĂ©ralement dĂ©signĂ©es par leur nom. Des graves vers les aiguĂ«s, elles se nomment corde de mi grave, de la, de rĂ©, de sol, de si et de mi aigu. Elles portent le mĂȘme nom que la note obtenue en jouant la corde Ă  vide. Leur nom peut donc changer en fonction de l’accordage de l’instrument. Les cases d’une guitare sont dĂ©limitĂ©es sur le manche par les frettes (barrettes en mĂ©tal). La case 1 est comprise entre le sillet et la premiĂšre frette, la case 2 entre la premiĂšre et la deuxiĂšme frette, etc. La case 0 est la corde Ă  vide. Une tablature se lit de gauche Ă  droite. L’axe horizontal reprĂ©sente le temps qui passe. Les chiffres se jouent un par un, les uns Ă  la suite des autres. Plusieurs chiffres superposĂ©s sont jouĂ©s simultanĂ©ment, c’est ce qu’on appelle gĂ©nĂ©ralement un accord. Est jouĂ© seulement ce qui est Ă©crit. Si une corde ne comporte aucun numĂ©ro, elle n’est pas jouĂ©e. Et c’est Ă  peu prĂšs tout.

Une caractĂ©ristique des pratiques contemporaines rĂ©side dans l’usage des effets de jeu. La tablature permet de noter prĂ©cisĂ©ment, en plus de la mĂ©lodie, de nombreux effets de jeu, gĂ©nĂ©rant des notes trĂšs typĂ©es, en intervenant sur le timbre. Ces effets sont loin d’ĂȘtre accessoires car ils font partie intĂ©grante des musiques actuelles. DiffĂ©rents types de signes typographiques sont convoquĂ©s pour prĂ©ciser la façon d’engendrer le son. Ainsi par l’usage d’une lettre Ă  la place d’une note, par exemple la lettre x, une note morte est signifiĂ©e. Par ce signe, le joueur comprend qu’il faut juste toucher la corde, sans la fretter, et de la gratter. Un son mat, sec, trĂšs percussif est ainsi obtenu et apporte beaucoup au rythme. Des signes intervenant entre deux chiffres indiquent quant Ă  eux la maniĂšre de lier les deux notes: les lettres h ou p (hammer-on ou pull-off) signifient des techniques ou les doigts viennent interagir avec la corde, tandis qu’un caractĂšre comme le / le indique un simple glissĂ©.

Notation des effets de jeu dans la tablature en toutes lettres ( et chiffres,sans glyphes extérieurs aux alphabets des polices de caractÚres informatiques )

Notation des effets de jeu dans la tablature en toutes lettres (et chiffres,sans glyphes extérieurs aux alphabets des polices de
caractĂšres informatiques)

Les lettres servent aussi de signes diacritiques Ă  une note, remplaçant des signes graphiques: par exemple, une note entre parenthĂšse ou prĂ©cĂ©dĂ© de la lettre b devra ĂȘtre jouĂ©e en exĂ©cutant un bend.

 

La tablature est donc bien une graphie dans l’air du temps. Depuis l’apparition de l’informatique mais surtout d’Internet, les tablatures sont trĂšs communes, et ce pour plusieurs raisons. Il est possible de reprĂ©senter une tablature avec des simples chiffres, ce qui est trĂšs facile Ă  faire sur Internet, alors que des notes de partition classique nĂ©cessitent une reprĂ©sentation graphique, plus difficile Ă  intĂ©grer dans un site. Écrire une tablature y est d’autant plus aisĂ© que l’utilisation d’un caractĂšre monospace, comme le courrier, facilite sa mise en page. Ce type de police est rĂ©curent  dans l’écriture des tablatures, et prĂ©sente deux avantages indĂ©niables. Tout d’abord, les lettres et chiffres ont une chasse fixe. Ainsi, toutes les lettres ou signes peuvent se superposer parfaitement les uns au-dessus des autres sans avoir Ă  mettre en forme quoi que ce soit. Ensuite, on en trouve sur tous les matĂ©riels informatiques, mĂȘmes les plus anciens. Il est possible de l’écrire avec ou de la lire Ă  peu prĂšs partout. Un autre point important, la dĂ©matĂ©rialisation de l’écriture facilite aussi sa diffusion comme son Ă©change. Internet en est la preuve. Les tablatures n’étant qu’un fichier texte, leur partage, leur modification ou encore leur impression sont Ă  la portĂ©e de tous.

ParallĂšlement, la version imprimĂ©e des tablatures prend dĂ©sormais plus de place dans la pratique musicale, notamment sous la forme de «songbooks». Plus ou moins exhaustifs, ces ouvrages compilent souvent les morceaux d’un mĂȘme album ou artiste. Il s’agit aussi bien d’un document musical qu’un objet destinĂ© au fan. Avec un songbook correctement Ă©crit, on peut thĂ©oriquement jouer fidĂšlement un morceau qu’on n’a jamais entendu auparavant. Cela vient du caractĂšre hybride de la tablature qui y est prĂ©sente: elle est augmentĂ©e avec beaucoup de signes parfois crĂ©Ă©s pour l’occasion, mais elle y associe surtout les autres langages musicaux pour complĂ©ter et/ou faciliter la lecture. On trouve donc les paroles, mais aussi des lignes en partition classique, des diagrammes et le chiffrage amĂ©ricain des accords. La tablature y est Ă©galement traitĂ©e de maniĂšre plus raffinĂ©e que sur Internet, car gĂ©rĂ©e de maniĂšre indĂ©pendente du systĂšme d’écriture de type monospace.

Cette tablature du morceau You and whose army ? de Radiohead ( issue du songbook de l’album Amnesiac ) prĂ©sente les diagrammes et le chiffrage amĂ©ricain des accords ainsi que la tablature pour les parties de guitare ( en plus des partitions classiques et des paroles )

Cette tablature du morceau You and whose army ? de Radiohead (issue du songbook de l’album Amnesiac)
présente les diagrammes et le chiffrage américain des accords ainsi que la tablature pour les parties
de guitare (en plus des partitions classiques et des paroles)

Il ne faut pas croire que les cordes ont l’exclusivitĂ© de la tablature. Beaucoup d’instruments disposent de la leur. Preuve en est, le mbira, sorte de sanza africaine Ă  lames de mĂ©tal disposĂ©es sur deux Ă©tages, jouĂ©e aux pouces, suit la mĂȘme logique d’écriture. Chaque touche, chaque note, est dĂ©signĂ©e par un chiffre. Une suite de chiffres Ă©crit la mĂ©lodie rĂ©partie sur quatre lignes correspondant aux zones de jeu, gauche, droite, haute et basse. LĂ  encore, tous les outils de la tablature sont convoquĂ©s, jusqu’à l’emploi d’une monospace.

Mbira Dzavadzimu ( aussi connu sous le nom de sanza ou piano à pouces ) est un instrument de percussion idiophone d’origine africaine qui se joue aux pouces.

Mbira Dzavadzimu (aussi connu sous le nom de sanza ou piano à pouces) est un instrument de percussion idiophone d’origine africaine qui se joue aux pouces.

Cet extrait de la tablature pour mbira de Shumba-YaNgwasha de Chartwell Dutiro est composĂ©e Ă  l’aide d’une police monospace. Les lettres en dĂ©but de lignes indiquent oĂč jouer sur l’instrument : par exemple, sur la partie supĂ©rieure gauche pour la ligne « UL », signifiant simplement upper left.

Cet extrait de la tablature pour mbira de Shumba-YaNgwasha de Chartwell Dutiro est composĂ©e Ă  l’aide d’une police monospace. Les lettres en dĂ©but de lignes indiquent oĂč jouer sur l’instrument: par exemple, sur la partie supĂ©rieure gauche pour la ligne «UL », signifiant simplement upper left.

D’ailleurs, c’est bien la tablature qui est utilisĂ©e comme Ă©criture «officielle» de cet instrument, au travers des ouvrages recensant les compositions qui sont destinĂ©es. De mĂȘme, la pratique du scratch ayant comme instrument la platine et les disques, n’est Ă  priori pas sujette Ă  l’établissement d’une notation. La culture DJ est maintenant courante et reconnue. Le scratch dispose aujourd’hui de son propre systĂšme d’écriture: le TTM.7  Bien que ce systĂšme d’écriture ne soit pas appelĂ© tablature en tant que tel, il rĂ©pond pleinement Ă  sa dĂ©finition par son usage systĂ©mique de codes graphiques.

La transcription pour platine du morceau de Rob Swift, Skratchin’ selon la notation TTM se veut trĂšs prĂ©cise, notament avec l’usage de sa grille temporelle orthonormĂ©e.

La transcription pour platine du morceau de Rob Swift, Skratchin’ selon la notation TTM se veut trĂšs prĂ©cise, notament avec l’usage de sa grille temporelle orthonormĂ©e.

FidĂšles compagnons de route, le chiffrage amĂ©ricain et les diagrammes sont les deux amis de la tablature. Indissociable de l’usage de la tablature, le chiffrage amĂ©ricain (ou chiffrage moderne) est un outil qui permet de contracter les informations d’un accord pour lui donner un nom bref sous la forme d’une lettre, accompagnĂ© ou non de signes complĂ©mentaires. La dĂ©nomination «amĂ©ricain» vient du fait que cette notation a Ă©tĂ© initialement adoptĂ©e pour retranscrire les morceaux de jazz aux États-Unis, notamment dans les fameux Real Books, compilations incontournables des plus grands classiques du genre. Il combine deux systĂšmes d’abrĂ©viations: l’utilisation de lettres et bien sĂ»r, du chiffrage. Tout d’abord les noms des notes sont rĂ©duits Ă  une lettre.

Au XIe siĂšcle, l’idĂ©e d’utiliser des lettres, de A Ă  G, pour dĂ©signer certains sons apparaĂźt.8 Les lettres en majuscules, symbolisent les intervalles majeurs, et en minuscules, s’il s’agit d’intervalles mineurs. Aujourd’hui, dans la notation anglo-saxonne, les lettres A B C D E F G sont Ă©quivalentes aux notes la si do rĂ© mi fa sol. Elles sont donc tout naturellement employĂ©es en chiffrage pour nommer les accords. Cette pratique est universelle Ă  quelques changements prĂšs: la notation allemande remplace le B par un H pour des raisons historiques. En japonais, les tons sont notĂ©s de A Ă  G en katakana avec l’alphabet iroha: ă‚€ (i), ロ (ro), ハ (ha), ニ (ni), ホ (ho), ヘ (he), ト (to). On la retrouve aussi en langue russe, hindi


Ensuite, le chiffrage consiste Ă  dĂ©signer les notes d’une gamme par rapport Ă  sa premiĂšre note, fondamentale. Par exemple, en do majeur, do sera la premiĂšre, rĂ©, la seconde, mi la tierce, etc. Un accord n’est donc Ă©crit qu’avec sa fondamentale Ă  laquelle on ajoute des chiffres dĂ©signant les notes qui complĂštent l’accord. Ainsi, un fa diĂšse mineur neuviĂšme six peut s’inscrire F#m9/6. Pratique, efficient et bien plus lisible qu’un empilement de notes sur une portĂ©e. Les diagrammes prĂ©sentent quant Ă  eux une forme de compromis entre partition et tablature. Ils accompagnent bien souvent le chiffrage amĂ©ricain pour prĂ©ciser ce qu’il dĂ©signe. En effet, ce dernier condense l’écriture d’un accord mais ne propose pas de maniĂšre de la jouer. Le diagramme permet de figurer le placement des doigts, la formation de l’accord, sous la forme d’un tableau qui reprend les codes de la tablature. Il se compose d’autant de lignes verticales que de cordes ou de touches de l’instrument et autant de colonnes horizontales que de cases. Les ronds placĂ©s sur les lignes symbolisent la position que les doigts doivent adopter.

De nombreux recueils, magazines ( comme les real books ou Guitar Part par exemple ) ou encore des studios proposent des affiches répertoriant les nombreuses positions des accords sous forme de diagrammes.

De nombreux recueils, magazines (comme les real books ou Guitar Part par exemple) ou encore des studios proposent des affiches répertoriant les nombreuses positions des accords sous forme de diagrammes.

Le systĂšme tablature + chiffrage amĂ©ricain + diagramme forme l’ossature de l’écriture alternative de la musique la plus rĂ©pandue Ă  ce jour. MĂȘme s’il prĂ©sente plus de variations que l’unique modĂšle de la partition, il reste concis, immĂ©diat et facile Ă  utiliser.

Avant de pouvoir utiliser ces outils et de jouer de la musique, encore faut-il s’y ĂȘtre initiĂ©. Dans la mesure oĂč son apprentissage se libĂšre du traditionnel solfĂšge, de nouvelles mĂ©thodes apparaissent. Les Ă©critures alors employĂ©es doivent rĂ©pondre Ă  l’obligation de rendre accessible la lecture et l’écriture pour le non-averti. Que ce soit la partition ou la tablature, ces Ă©critures s’adressent aux musiciens. Ceux qui sont totalement Ă©tranger Ă  toute forme Ă©crite de la musique ont pourtant d’autres outils pour l’apprendre ou la jouer. De la solmisation Ă  la mĂ©thode tonic sol-fa, des notations alternatives ont pu se dĂ©velopper en vu d’enseigner la musique Ă  celui qui n’est pas (encore) musicien. Le chiffrage amĂ©ricain pourrait admettre comme lointain parent un systĂšme qui Ă©tablit bien avant lui la combinaison de la lettre et du nom, de la main et de la note. Kenneth Bray retrace dans son livre l’évolution des prĂ©curseurs de ce chiffrage autour de l’adaptation de principes d’éducation musicale.9  Guido d’Arezzo met au point une mĂ©thode d’étude du chant et des nuances au XIe siĂšcle: c’est la solmisation, que nous avons dĂ©jĂ  Ă©voquĂ©e. Pourtant, dans les cultures anglo-saxonnes, la solmisation et le mot solfĂšge sont synonymes. Ils ont pour objet la façon de nommer les notes de musique, ce qui rejoint la dĂ©finition prĂ©cĂ©dente. Le mot solfĂšge venant de de l’italien solfeggio, du latin solfa (gamme), de sol-fa, qui a Ă©galement donnĂ© son nom Ă  la mĂ©thode «tonic sol-fa». Guido d’Arezzo cherche des mĂ©thodes pour apprendre efficacement Ă  chanter juste Ă  ses jeunes Ă©lĂšves qui ne maĂźtrisent pas encore le systĂšme Ă©crit. Il utilise comme outil mnĂ©motechnique les premiĂšres syllabes de l’hymne Ă  Saint Jean-Baptiste, de Ut Ă  La, pour mĂ©moriser les intervalles existant dans l’hexacorde correspondant (gamme de l’époque). Cette mĂ©thode se caractĂ©rise par le fait qu’on ne peut chanter un demi-ton que sur les syllabes mi-fa. L’idĂ©e connaĂźt un succĂšs sans prĂ©cĂ©dent. Elle permet de rĂ©duire considĂ©rablement le temps d’apprentissage de nouveaux chants et peut s’émanciper de toute forme proche ou lointaine de partition dans un premier temps d’apprentissage. GrĂące Ă  cette mĂ©thode, il est facile de repĂ©rer quelle note est chantĂ©e, et quelles syllabes peuvent ĂȘtre dites sur cette note.  Elle s’accompagne d’un systĂšme de visualisation des hexacordes sur sa main,  appelĂ©e la main guidonienne.

La main guidonienne, comme le montre ce manuscrit italien du XVIe siĂšcle est l’aide mĂ©moire du musicien de l’époque.

La main guidonienne, comme le montre ce manuscrit italien du XVIe siĂšcle est l’aide mĂ©moire du musicien de l’époque.

La main guidonienne organisait toute une cartographie musicale sur les doigts et le dos de la main. manuscrit italien du XVIe siĂšcle.

La main guidonienne organisait toute une cartographie musicale sur les doigts et le dos de la main. manuscrit italien du XVIe siĂšcle.

Plus tard, au milieu du XIXe siĂšcle, l’usage de la main est repris et simplifiĂ© de façon extrĂȘme. Le RĂ©vĂ©rend John Curwen (1816-1880) recevant la charge d’apprendre Ă  chanter Ă  ses jeunes Ă©lĂšves prend exemple sur la mĂ©thode de Sarah Glover (1785-1867) qui avait utilisĂ© une Ă©chelle mobile construite sur les syllabes do rĂ© mi fa so la ti. Afin d’aider l’élĂšve sur le plan visuel, Curwen Ă©labore un ingĂ©nieux systĂšme de signes de la main, une position particuliĂšre de la main reprĂ©sentant chacune des notes de la gamme. Ce systĂšme s’est avĂ©rĂ© particuliĂšrement efficace auprĂšs des enfants. Un chef de chƓur peut alors aisĂ©ment montrer les notes Ă  chanter Ă  un groupe tout en restant silencieux. Les mĂ©thodes de repĂ©rage sur la main sont d’ailleurs courantes au Moyen Âge. Cette mĂ©thode se propage largement dans les milieux protestants, notamment par l’édition de The Standard Course of Lessons on the Tonic Sol-fa Method of Teaching to Sing en 1858. Encore en usage actuellement sous le nom de mĂ©thode Kodaly, elle donne ses lettres de noblesse Ă  Curwen press, maison Ă©ditoriale artistique de Plaistow, non loin de Londres, fondĂ©e en 1868 qui revendique avant tout un soin particulier accordĂ© au design de ses objets. Et ce n’est pas un hasard si l’histoire nous prĂ©sente cette maison comme pionniĂšre en matiĂšre de recherche graphique et typographique appliquĂ©e Ă  la musique.

Le solfĂšge Curwen assigne une note Ă  chaque signe de la main.

Le solfĂšge Curwen assigne une note Ă  chaque signe de la main.

L’apprentissage de la musique, loin d’ĂȘtre aisĂ©, est peut ĂȘtre la premiĂšre explication de l’apparition de mĂ©thodes alternatives de l’écriture de la musique. Par sa volontĂ© de rendre accessible au plus grand nombre la connaissance de la musique, Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) publie ainsi de nombreux Ă©crits thĂ©oriques et met au point un nouveau systĂšme de notation. Il s’inscrit avec quelques siĂšcles d’avance dans le mouvement de dĂ©mocratisation de la culture. Son engagement pour libĂ©rer la musique de la tradition, et l’ouvrir Ă  la nouveautĂ© constitue un hĂ©ritage original et prĂ©cieux pour notre siĂšcle. En 1742, Rousseau publie son Projet concernant de nouveaux signes pour la musique10  dans lequel il propose de rĂ©volutionner le systĂšme de notation musicale, qu’il juge trop complexe. Selon Rousseau, la difficultĂ© d’apprendre la musique vient surtout de ses caractĂšres, trop nombreux, occupant un trop grand volume, et surchargeant la mĂ©moire des Ă©coliers. Il dĂ©nonce l’imperfection des signes de la partition, oĂč la lecture est compliquĂ©e par un nombre excessif de lignes. Son idĂ©e est relativement simple: il s’agit d’exprimer autant de choses en moins d’espace, en considĂ©rant deux objets principaux, le son et la durĂ©e. Comme la musique ne tient qu’en un enchaĂźnement de sons qui se font entendre soit tous ensemble, soit successivement, il suffit que tous ces sons aient des expressions relatives qui leur assignent Ă  chacun la place Ă  occuper par rapport Ă  un certain son fondamental pourvu. Rousseau revoit donc la forme mais conserve une forte dimension thĂ©orique. Cette Ă©criture n’est pas abordable par le nĂ©ophyte. Il note alors la musique plus commodĂ©ment en substituant des chiffres aux notes. Do, rĂ©, mi, etc, deviennent, 1, 2, 3, 4, jusqu’à 7
 et lorsqu’il y a changement de tonalitĂ©, la clĂ© l’indique. Pour sortir de cette Ă©tendue et passer dans d’autres octaves, le plus simple de tous les signes est utilisĂ© de façon diacritique, au-dessus ou au-dessous. Une sorte d’intermĂ©diaire entre partition et chiffrage amĂ©ricain. Cette Ă©criture connait un succĂšs mitigĂ© et n’est pas beaucoup utilisĂ©e.

La proposition d’écriture de la musique par Rousseau est trĂšs Ă©conome en signes, comme en place.

La proposition d’écriture de la musique par Rousseau est trĂšs Ă©conome en signes, comme en place.

Un descendant de son systĂšme de notation musicale est encore utilisĂ© de nos jours en Chine, mĂȘme si le lien de parentĂ© historique n’est pas clair. Le jianpu, qui signifie littĂ©ralement «notation simplifiĂ©e» est Ă©galement appelĂ© systĂšme numĂ©rotĂ©. Le systĂšme initial est simplement augmentĂ© par la possibilitĂ© d’ajouter des tirets aux chiffres. Un chiffre seul correspond Ă  une noire. Les traits suivants la note la prolongent: – pour une blanche, — pour une blanche pointĂ©e etc. Au contraire, les traits soulignants correspondent Ă  des divisions: 1 pour une croche, 2 pour une double croche


Cet exemple de musique Ă©crite en jianpu : Huan Le Ge, ( Chant traditionnel chinois, La chanson de la joie ) ne prĂ©sente que peu de diffĂ©rences formelles avec la proposition d’écriture de la musique de Jean-Jacques Rousseau.

Cet exemple de musique Ă©crite en jianpu : Huan Le Ge, (Chant traditionnel chinois, La chanson de la joie) ne prĂ©sente que peu de diffĂ©rences formelles avec la proposition d’écriture de la musique de Jean-Jacques Rousseau.

Les qualitĂ©s de la tablature tiennent donc dans sa simplicitĂ© et son caractĂšre universel. C’est donc naturellement que le fonctionnement thĂ©orique de son systĂšme se voit reproduit dans de nouvelles façons de concevoir la musique. De la partition classique Ă  ses formes alternatives les plus Ă©mancipĂ©es, en passant par diffĂ©rentes formes de compromis, il est possible de penser que le tour de la question est fait. En rĂ©alitĂ©, de nouvelles pratiques rejouent aujourd’hui les propositions dĂ©jĂ  mises en place auparavant pour proposer non plus seulement l’apprentissage ou la lecture, mais l’improvisation. De la mĂȘme façon qu’autrefois, les nouveaux instruments ont pu initier de nouvelles Ă©critures, dĂ©sormais les deux se dĂ©veloppent ensemble. C’est par exemple le cas du Du-touch, instrument embarquant une technologie informatique, dĂ©veloppĂ© en adĂ©quation avec une notation elle-mĂȘme pensĂ©e pour faciliter le jeu. L’instrument part ici d’une idĂ©e simple: sur ce nouveau clavier, les notes sont rĂ©parties alternativement Ă  gauche et Ă  droite, ainsi on a un doigt par note sur une octave et un accord dans chaque main. Sur le clavier gauche, on retrouve les notes situĂ©es sur les lignes de la portĂ©e et sur le clavier droit les notes situĂ©es sur les interlignes. La notation facilite le jeu par la façon dont elle prĂ©sente les notes. Les gammes et les accords sont reprĂ©sentĂ©s par des dessins graphiques. Tout comme la tablature prend en compte les cordes de l’instrument, la notation Dualo met en lumiĂšre les touches Ă  presser. L’association d’un dessin Ă  un accord, Ă  une couleur sonore s’apprend trĂšs vite. Pas de gammes Ă  travailler comme au piano. Chaque dessin peut ĂȘtre rĂ©duit Ă  un signe qui constituera une abrĂ©viation possible.

Les touches des notes de la gamme jouĂ©e sont allumĂ©es sur l’instrument Du-touch, en miroir Ă  sa notation.

Les touches des notes de la gamme jouĂ©e sont allumĂ©es sur l’instrument Du-touch, en miroir Ă  sa notation.

s notations, rĂ©ductions et chiffrages des accords selon le principe Dualo ont Ă©tĂ© conçues en adĂ©quation formelle et ergonomique avec l’instrument Du-touch.

s notations, rĂ©ductions et chiffrages des accords selon le principe Dualo ont Ă©tĂ© conçues en adĂ©quation formelle et ergonomique avec l’instrument Du-touch.

Un dĂ©faut Ă  cette Ă©criture tient Ă  sa dĂ©pendance Ă  des outils de lecture et d’écriture. En effet, impossible d’écrire les diagrammes sans logiciel ou de lire les sĂ©quences animĂ©es sans fichier. En revanche, si toutes les conditions techniques sont rĂ©unies, l’apprentissage devient ludique et facile. En effet Ă  l’image des claviers pour les tous petits, l’instrument peut recevoir les fichiers de notation informatique des morceaux. Ainsi, l’instrument, ou plutĂŽt son ordinateur intĂ©grĂ© va le lire et allumer ses touches comme pour un jeu vidĂ©o. Il assure quelque part le relais de l’interprĂ©tation, comme une interface tactile.

Cette notation permet de voir poindre la tendance d’une Ă©criture dĂ©matĂ©rialisĂ©e. Non seulement elle ne se voit pas, car dans le cas prĂ©sent, il s’agit d’un fichier MIDI, un simple code informatique, mais en plus elle ne prend pas de forme tangible puisqu’elle ne se rĂ©vĂšle qu’au travers de l’activation de l’instrument.

  1. Jean-Yves Bosseur, Du son au signe, éditions alternatives, Paris, collection écritures, 2005, pp. 55-59.  []
  2. Jean-Marc Warszawski, Les Ă©crits relatifs Ă  la musique, de BoĂšce Ă  Jean – Philippe Rameau ( 480-1764 ), thĂšse UniversitĂ© Paris 8, 2009, p.49.  []
  3. HĂ©lĂšne CarrĂšre d’Encausse et Maurice Druon, secrĂ©taires de l’AcadĂ©mie française, Dictionnaire, NeuviĂšme Ă©dition, Paris, Imprimerie nationale / Fayard, 1992, <atilf.fr/academie9.html> []
  4. Nelson Goodman, Languages of Art. An Approach to a Theory of Symbols, Indianapolis/Cambridge, Hackett Publishing CO, 1976, pp.130-134. []
  5. Par exemple, l’accordĂ©on apparaĂźt au XIXe siĂšcle, tout comme la forme actuelle de la guitare   []
  6. Dominique Bertrand, Le Diabolus des Sages : Une dissonance interdite
, St Martin de Castillon, Ă©ditions Signatura , 2006. []
  7. D’aprĂšs leur site, <www.ttm-dj.com>, TTM (turntablist transcription methodology) est une organisation dĂ©diĂ©e Ă  l’avancement de la platine comme instrument et au DJ comme musicien. Elle se concentre sur la crĂ©ation et l’évolution d’un systĂšme de notation permettant de documenter la composition et les nuances des compositions des DJs. []
  8. Selon un principe hĂ©ritĂ© des grecs et de BoĂšce, qui allait jusqu’à la lettre P.   []
  9. Kenneth Bray, A Canadian adaptation of Kodály’s music education principles, Aceum, 1971. []
  10. Jean-Jacques Rousseau, Projet concernant de nouveaux signes pour la musique 
, Genùve, Deterville, 1781, p.2-5.  []

Entrevue

Beauregard