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Papillon(s)

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Du brouillage des métaphores.
De l’éphĂ©mĂšre et du design graphique.
De l’affiche « Un papillon Â» de Fanette Mellier.

Fanette Mellier, Un Papillon, 2014

« Et cependant, dit Browne, chaque connaissance est environnĂ©e d’une obscuritĂ© impĂ©nĂ©trable. Nous ne percevons que des lueurs isolĂ©es dans l’abĂźme de notre ignorance, dans l’édifice du monde traversĂ© d’épaisses ombres flottantes Â». W.G Sebald1

EphémÚre

L’objet graphique au moment oĂč il se donne au public dĂ©clenche son imminente disparition. Dans la plupart des cas, cette mort programmĂ©e s’annonce de façon ostentatoire. L’affiche comprime son temps de fonctionnalitĂ© entre deux dates. Elle Ă©met parfois une date de dĂ©but et obligatoirement la date de la fin d’un Ă©vĂ©nement ou d’une reprĂ©sentation. Cette derniĂšre compte particuliĂšrement pour le public. Annoncer – informer â€“ et marteler la fin fonde la finalitĂ© de l’affiche. L’affiche Ă©nonce et clĂŽture, elle coordonne et ordonne le temps. Elle s’inscrit immĂ©diatement dans un rapport de temporalitĂ© et de finitude, oĂč la caractĂ©ristique Ă©phĂ©mĂšre tient une place « essentielle Â». On pourrait dire que la mort constitue tout objet de design graphique. La mort comme disparition dans le champ du visible et dans celui des usages. Un objet graphique est par dĂ©finition, « sujet Ă  disparaĂźtre, Ă©phĂ©mĂšre, pĂ©rissable, temporel Â»2 , en terme Ă©conomique : jetable, consommable. De cette inĂ©vitable disparition, l’histoire du design graphique puise sa visibilitĂ©.

Certains objets graphiques prĂ©tendent dĂ©fier le temps, ils posent une volontĂ© d’intemporalitĂ© – nous pourrions Ă©voquer le cas des livres, des identitĂ©s visuelles, mais aussi des signalĂ©tiques3 . Durant ces deux derniĂšres dĂ©cennies, on a pu constater le rĂ©trĂ©cissement de cette modalitĂ©. Il ne s’agit pas tant d’une dĂ©matĂ©rialisation des objets liĂ©s aux instances du numĂ©rique que d’une logique de crĂ©ation continue d’objets effaçant et renouvelant les prĂ©cĂ©dents. Tout objet contemporain se destine Ă  une vie surveillĂ©e, oĂč sa forme premiĂšre sera souvent retravaillĂ©e, revitalisĂ©e avant que d’ĂȘtre Ă©puisĂ©e4. La durĂ©e d’un objet graphique n’est que croyance rassurante. Il est, par sa sujĂ©tion Ă  la fonctionnalitĂ©, enfermĂ© dans son temps, entre un rĂŽle de capteur et d’indice.

L’objet graphique s’inscrit dans un dialogue complexe avec la temporalitĂ©. Conçu pour le ici et maintenant, sa valeur a souvent Ă©tĂ© cautionnĂ©e par sa capacitĂ© Ă  agir dans le temps qui lui Ă©tait imposĂ© et Ă  rĂ©pondre aux impĂ©ratifs d’une commande. Le fonctionnalisme d’un objet est un gage de qualitĂ©, une intentionnalitĂ© structurelle souveraine. La premiĂšre bataille que livre un objet graphique se situe dans cet espace-temps avec ses lecteurs contemporains. Qu’il puisse envisager la postĂ©ritĂ©, avant sa relation avec le public est inconvenant. C’est en cela, pour une part, qu’il se diffĂ©rencie, ou du moins s’est diffĂ©renciĂ© jusqu’au milieu des annĂ©es 1990, d’une Ɠuvre d’art. L’histoire de l’art s’est construite dans une logique de transcendance du prĂ©sent, dans le fait de se penser au-delĂ  de toute temporalitĂ©, de toute actualitĂ©. Peu importe sa rĂ©ception. Vasari a lĂ©gitimĂ© les artistes comme des demi-dieux. « Tel fut le premier disegno, le premier grand dessein de Vasari historien : sauver les artistes de leur “seconde mort” supposĂ©e, rendre l’art inoubliable Â»5.
 
L’histoire du design graphique ne peut se construire sur ce paradigme – pour autant les travaux d’historiens et de critiques requestionnent la mort lĂ©gitime / immĂ©diate / fondatrice de l’objet graphique du fait qu’ils extirpent ces objets et les remontent continuellement dans les circuits de la visibilitĂ©. Depuis les annĂ©es 1990, ce rapport Ă  la finitude de l’objet graphique Ă©volue. Des graphistes ont misĂ© sur une fonctionnalitĂ© d’une temporalitĂ© non immĂ©diate, seconde, Ă  tremblements diffĂ©rĂ©s. La projection sur un aprĂšs – fonctionnel â€“ donne Ă  leur crĂ©ation une intemporalitĂ© programmĂ©e. Si l’affiche ne se lit pas aujourd’hui6 , elle se lira d’autant mieux demain, aprĂšs l’évĂ©nement, grĂące Ă  des retours discursifs qu’elle aura gĂ©nĂ©rĂ©, grĂące Ă  ses ombres d’incomprĂ©hension. Sa radicalitĂ© d’aujourd’hui lui permettra de gagner en intemporalitĂ© plus tard. Elle conserve sa fonction d’encreur temporel, sans se dĂ©sagrĂ©ger dans la poussiĂšre d’objets jaunis et Ă©cornĂ©s car trop connotĂ©s par l’évĂ©nement qu’elle promeut7. L’affiche est libre de voyager, de circuler au-delĂ  des Ă©poques. De l’utilitĂ© de l’affiche Ă  l’ornemental poster, le passage est plus complexe qu’il ne paraĂźt.

m/m paris, Le Jour des meurtres dans l’histoire d’Hamlet, affiche 120×176 cm pour le thĂ©Ăątre de Lorient, mars 2008.

Un graphiste se confronte Ă  cette double contingence, la mort programmĂ©e des objets qu’il confectionne et la fragilitĂ© de son corpus. Il se retrouve en proie Ă  une lutte intĂ©rieure, il doit accorder toute son attention Ă  concevoir des objets qui, une fois mis sur le marchĂ© de la consommation, s’avĂšreront rapidement inutiles et pĂ©rissables. Pour parer Ă  cette fragilitĂ©, certains graphistes n’auront de cesse que de faire vivre leur production dans un au-delĂ  : et de collectionner, rassembler, Ă©diter, exposer, diffuser8
 Pour d’autres, cet humain refus de l’effacement prend d’autres voies : confectionner un portfolio – en ligne â€“ ou jouer la survie d’une image en la dĂ©veloppant, la faisant revivre dans une autre commande, continuant formellement le dialogue entre les images. Ce rapport Ă  la visibilitĂ© pourrait paraĂźtre prosaĂŻque. Cette relance du visible par lui-mĂȘme n’est pas de l’ordre de la pose, de la minauderie. On approche de la complexitĂ© de l’image contemporaine. Comment se projeter au delĂ  de la consommation et crĂ©er un objet essentiel, fonctionnel, radical alors qu’on mesure sa finitude ?

L’historien, le critique, le bloggeur, l’amateur, Ă©pient ce dispositif visuel Ă  la durĂ©e de la vie limitĂ©e. Ils regardent les objets graphiques lutter contre leur disparition, ĂȘtre avalĂ©s par cette sociĂ©tĂ© qui les gĂ©nĂšre et les dĂ©glutit. Une Ɠuvre graphique a trĂšs peu de chance de rĂ©apparaĂźtre au-delĂ  de sa gĂ©nĂ©ration, si elle n’a pas Ă©tĂ© consignĂ©e quelque part – dans un ouvrage, un catalogue, un fonds
9. Et quand bien mĂȘme, l’oubli reste sa plus grande rĂ©alitĂ©.

Ce texte questionne les limites temporelles de l’objet graphique. L’affiche est plus souvent invoquĂ©e car le texte a pour point de dĂ©part l’affiche de Fanette Mellier Un Papillon mais les autres objets graphiques sont aussi concernĂ©s. Il s’agit de mesurer l’essence Ă©phĂ©mĂšre de la plupart des objets graphiques et de ce qu’elle induit comme sensations d’inutilitĂ© et de vacuitĂ©. Une Ă©vidence, l’affiche de par son obsolescence, passe plus du temps dans sa vie d’objet disparu que d’objet fonctionnel.

L’historien du graphisme consacre son temps Ă  Ă©tudier des objets « finis Â», Ă  la fonctionnalitĂ© dĂ©passĂ©e. De ce fait une relation paradoxale s’impose : une relation inquiĂšte qui cherche Ă  instituer la nĂ©cessitĂ© d’une histoire. L’historien doit aussi lĂ©gitimer la futilitĂ© de son objet d’étude. Ce qui m’amĂšne Ă  interroger la duplicitĂ© de ce regard dans lequel s’établit une incompressible tentative contradictoire : celle d’analyser le plus prĂ©cisĂ©ment possible l’objet d’étude et celle de le libĂ©rer. Celle de le consigner dans le fonctionnement de son passĂ© – et ainsi de lui donner du poids â€“ et conjointement de l’allĂ©ger pour qu’il puisse continuer Ă  croĂźtre, comme bien culturel, dans le prĂ©sent et le futur. Dans ce dialogue heurtĂ©, s’instillent la profondeur de l’étude patiente et la fraĂźcheur sporadique de l’émerveillement10. – Faut-il Ă©pingler un papillon ? â€“
 

Epingler

Par la mĂ©taphore du papillon, Alain le Quernec Ă©voquait avec justesse l’aporie d’exposer le graphisme, plus prĂ©cisĂ©ment l’affiche11 . Une affiche exposĂ©e dans un autre contexte que celui de sa raison premiĂšre, la rue, est un papillon mort.

« Le pauvre animal palpite dans les filets et perd en se dĂ©battant ses plus belles couleurs ; et mĂȘme si on rĂ©ussit Ă  l’attraper intact, le voilĂ  quand mĂȘme pour finir Ă©pinglĂ© lĂ , rigide, et sans vie ; le cadavre n’est pas la totalitĂ© de l’animal, quelque chose d’autre en fait partie, partie principale, et en cette occurrence comme en tout autre, partie principale des principales : la vie Â».12

Hors de son contexte de commande et au-delĂ  de ses dates valides d’information, une affiche a perdu sa raison de vivre. L’exposer hors de l’espace public lui retire sa finalitĂ© d’usage. « Le graphisme (
) est toujours un objet de circonstance, Ă©phĂ©mĂšre en consĂ©quence. Vous pouvez, bien sĂ»r, l’archiver, le recueillir et l’exposer, ce que nous faisons ici. Vous en suspendez ainsi certaines des finalitĂ©s que nous avons designĂ©es : persuader, tĂ©moigner. Vous ne gardez que plaire qui excĂšde la circonstance. Vous en faites une Ɠuvre Â» Ă©nonce Jean-François Lyotard13.

La polĂ©mique est ancienne et concerne les beaux arts en gĂ©nĂ©ral : « les Ɠuvres d’art perdent leur sens du fait d’ĂȘtre exposĂ©es Â». ExposĂ©, l’art perd de son « aura Â»14, en design, l’objet graphique perd de son assise sociale. PrivĂ© de la saveur de son message, sa raison d’apparaĂźtre cesse. La comparaison avec le papillon opĂšre. Mais l’évidence de la mĂ©taphore s’évapore devant l’ĂȘtre-papillon15. Le papillon n’est plus en vie, mais il reste visible. La mort transforme les humains et leur regard. D’ailleurs, seuls les objets survivent Ă  l’invisibilitĂ© de l’homme dĂ©cĂ©dĂ©. « Il n’est pas certain cependant que la mort puisse ĂȘtre dite certitude, et pas certain non plus qu’elle ait la signification de l’anĂ©antissement Â»16.

Une affiche exposĂ©e est livrĂ©e Ă  l’expĂ©rience du regard. Certes, Ă©pinglĂ©e, elle n’aura pas la mĂȘme visibilitĂ© qu’en vol. C’est au regard, donc Ă  l’entendement, de s’emparer de cette extension d’apparition. Épingler montre qu’à un moment donnĂ©, nous souhaitons nous souvenir, approfondir, qu’on ne peut oublier17.

Une question seconde, nĂ©anmoins cruciale, perdure. Faut-il sauver cet objet, du moins sauver quelques spĂ©cimens ? Épingler un papillon – une affiche â€“ revient Ă  lui assurer une sur-vie, une vie en-dehors de la vie ou de sa normalitĂ©. Au-delĂ  de collectionner, exposer, c’est-Ă -dire exhumer des fonds de conservation, redonne vie Ă  l’objet en question, le confronte Ă  une nouvelle lumiĂšre. Il s’agit de raviver, de requestionner l’intentionnalitĂ© d’un objet pour en mesurer l’impact formel, intellectuel, humain18. Chercher en dehors de la fonctionnalitĂ©, certes essentielle, mais non dĂ©finitive. À quoi sert un papillon ?

L’Ɠuvre graphique ne perd pas toute sa quintessence si elle se dĂ©shabille de son fonctionnalisme. Il ne s’agit pas de lĂ©gitimer l’Ɠuvre par une superbe transcendantale, mais d’accorder Ă  l’Ɠuvre, une Ă©coute diffĂ©rente, singularisĂ©e. Cette Ă©coute s’enregistre Ă  travers une gamme assez large : le sociologue qui interroge l’objet comme caisse de rĂ©sonance d’une Ă©poque, ou un esthĂ©ticien qui analyse la nuditĂ© structurelle de l’objet comme forme de crĂ©ativité 

Regarderais-je aussi attentivement les papillons dans la nature si je n’avais pas eu le temps de les scruter ailleurs ? DĂ©sespĂ©rais-je autant de ne pas pouvoir saisir les papillons au vol si certains ne m’avaient pas alertĂ© de leur singularitĂ© ? En saisirais-je la complexitĂ© si nous ne prenions le temps de les fixer sur des planches encyclopĂ©diques, des cimaises, des reproductions photographiques ?

W.G . Sebald, Les anneaux de saturne, traduit de l’allemand par Bernard Kreiss, Actes Sud, 1999, p.321

Exposer un objet graphique participe Ă  rĂ©inventer des dialogues entre sa valeur de document, la mĂ©moire des individus, son inscription dans l’histoire, la grammaire formelle d’un crĂ©ateur, les concordances entre les diffĂ©rents arts


En ouvrant la boĂźte Ă  reproductions, AndrĂ© Malraux invitait Ă  repenser librement les Ɠuvres. « Le chef d’Ɠuvre ne maintient pas un monologue souverain, il impose l’intermittent et invincible dialogue des rĂ©surrections Â»19 .

La survie d’une Ɠuvre induit le fait qu’elle sera de temps en temps sauvĂ©e de la poussiĂšre pour ĂȘtre suspendue, Ă©tudiĂ©e, regardĂ©e, dans sa matĂ©rialitĂ©. « Les Ɠuvres d’art sont constamment recrĂ©Ă©es – rĂ©inventĂ©es â€“ par leurs regardeurs – simultanĂ©ment et successivement â€“ mĂȘme lorsqu’elles paraissent Ă  l’abri dans les musĂ©es Â». Rappelons cette rĂ©flexion de Malraux, selon qui chaque rencontre avec une Ɠuvre d’art la recrĂ©e, dans le sens oĂč elle n’est plus exactement la mĂȘme – elle a matĂ©riellement Ă©voluĂ© â€“, oĂč elle n’est plus prĂ©sentĂ©e ni vue de la mĂȘme façon, oĂč le spectateur a lui aussi changĂ© Â»20. Cadrer ou recadrer une Ɠuvre graphique Ă©loigne et valorise le contexte premier de la commande. L’objet graphique sera d’autant plus flottant et offert au pouvoir du commissaire qu’une Ɠuvre d’art sera plus fortement accompagnĂ©e d’un discours analytique et surtout moins obligĂ©e de se soumettre Ă  une temporalitĂ© d’objet commanditĂ©.

Une affiche Ă©pinglĂ©e ne livre que ses formes, nous sommes notamment privĂ©s de son vol – sa fonction. Peut ĂȘtre que ces derniĂšres annĂ©es, de nombreux graphistes, en tentant de montrer le processus de formation d’un objet graphique21, et en se focalisant moins sur l’Ɠuvre finale que sur sa genĂšse, essaient de combler cette lacune : rĂ©vĂ©ler le vol ainsi que l’envol22.
 

Papillons au vent. Usages multiples

Dans l’histoire du design graphique, le papillon existe. Son appellation renvoie au vol libre ainsi qu’à sa condition d’objet multiple. « TrĂšs voisin du tract, auquel il emprunte la typographie ainsi que les aphorismes et les bons mots propres Ă  attirer et retenir l’attention du passant, le papillon, placardĂ© sur toutes sortes de supports dans les rues – y compris dans les pissotiĂšres â€“, constitue un mode d’expression qui assure, de maniĂšre plus efficace encore, une publicitĂ© au mouvement Â»23. Dada dĂ©tourne l’usage des papillons pour diffuser sur des papiers couleurs Ă  bas prix Ă  visĂ©e commerciale, des poĂšmes, des aphorismes de Paul Eluard. Tristan Tzara les imprime Ă  un million d’exemplaires dans six couleurs diffĂ©rentes et les dĂ©verse Ă  Paris au dĂ©but de 1920. Il espĂšre ainsi voir voltiger un Ă©tat d’esprit usant jusqu’à son paroxysme de l’absurditĂ©, transformant le tumulte typographique en poĂšmes visuels. Les papillons de Dada sont insaisissables, en sur-nombre, vouĂ©s aux caprices du vent et du bitume. Les aphorismes frĂŽlent l’indicible du discours. Des papillons ou des morceaux d’affiches dĂ©collĂ©es du mur, dĂ©coupĂ©es, faisant du vent leur force de frappe.

Aujourd’hui encore, les papillons refusent la grandiloquence pour se fondre dans la misĂšre visuelle du quotidien. « Petit texte de publicitĂ© ou de propagande que l’on distribue ou que l’on colle Â»24. Les plus fonctionnels se retrouvent sur un pare-brise. À peine lus, ils gonflent les poubelles.

Un dernier usage, un papillon glissĂ© dans un livre peut alerter et rĂ©parer une erreur, un oubli. « Feuillet imprimĂ© sur lequel figure un avis au lecteur, un erratum que l’on insĂšre dans une publication Â»25. Dans un livre, comme dans la rue, le papillon est seul, jetĂ© au bon vouloir de la rĂ©ception du lecteur. Le papillon, de son jetĂ©, se gausse.

Le papillon, dans l’histoire du design graphique amplifie la rĂ©alitĂ© fugitive de nombre d’objets graphiques.
 

Ne pas attraper

Muriel Pic, dans son essai sur l’écrivain allemand Winfried Georg Sebald (1944-2001), L’image Papillon prĂ©cise que le concept d’image papillon dĂ©ploie deux idĂ©es contradictoires. L’« image du papillon Â» renvoie aux heures passĂ©es dans un cabinet de curiositĂ© – dans une logique de l’immobile. L’« image papillon Â» interroge l’image qui ne se laisse pas fixer, du fait qu’elle passe trop vite – dans une logique de mouvements insaisissables. Muriel Pic voit dans le papillon l’image allĂ©gorique d’une relation dialectique Ă  la mĂ©moire activant Ă  la fois un geste scientifique de collecte, d’archivage – figeant le passĂ© â€“ et une attitude empathique vis-Ă -vis du passĂ©, la mĂ©moire Ă©tant le lieu d’une expĂ©rience. « Le passĂ© ne livre sa vĂ©ritĂ© qu’à celui qui se risque en ce lieu inconnu, s’expose Ă  l’errance et explore le temps. Pour cela, Sebald, recourt Ă  des procĂ©dĂ©s propres Ă  la photographie et au cinĂ©ma : le cadrage, le ralenti, le flou.
Inlassablement, Sebald suit et dĂ©chriffre des traces. Lecteur ou chasseur, il dĂ©cline un paradigme de l’indice et devient un “butterfly man”. Car la remĂ©moration est une chasse aux papillons Â» Ă©crit Muriel Pic26.

Image-papillon, l’affiche ne peut ĂȘtre qu’entraperçue. Ce n’est pas dans la rue qu’elle sera analysĂ©e ou contemplĂ©e27. Exposer un objet de cette nature revient Ă  contrarier la nature Ă©phĂ©mĂšre et Ă©phĂ©mĂšre de ce document.

Image du papillon, l’affiche acquiert une autre vie dans les livres, les salles de bibliothĂšques, les archives, les collections, les expositions. « Saisir ce qui survit dans les images, c’est faire affleurer ce qui du temps n’est pas visible Â»28.

Fanette Mellier, Un papillon, 2014

 
Le papillon de Fanette Mellier existe en deux versions, l’une comportant les informations de l’exposition Un Imprimeur – Saison graphique, 2013 â€“29, l’autre dĂ©nuĂ©e de toute information. L’une fonctionnelle, et l’autre, non. Mais mĂȘme la premiĂšre pourrait ĂȘtre jugĂ©e non fonctionnelle. Une affiche portant sur une exposition de graphisme peut-elle ĂȘtre une affiche Ă  valeur d’utilitĂ© publique ? La question est souvent posĂ©e. Elle l’est d’autant plus ici que les informations sont inscrites en tout petit dans les membranes filaires des antennes. La rĂ©duction ou la minimalisation du contenu – d’informations â€“ renvoie Ă  une dimension propre au design graphique – essentielle et subversive. Le graphiste a toujours d’une certaine maniĂšre retravaillĂ© la question de la commande, la contrariant, la redirigeant, non pas tant, il me semble, pour s’approprier la commande que pour laisser une marge, une marge d’incertitude au regard, qui autorise Ă  accorder une place Ă  un spectateur – Â« Ă©mancipĂ© Â»30. Il crĂ©e ainsi un objet de non-contrĂŽle, un objet qui invite Ă  l’autonomie de son lecteur.

Une nuĂ©e de papillons disposĂ©e dans des panneaux Decaux de la ville du Havre incitait Ă  papillonner, Ă  passer d’un panneau Ă  l’autre, d’une couleur Ă  l’autre, d’une pensĂ©e Ă  une autre, sans avoir Ă  dĂ©coder une directive ou un message publicitaire. Le papillonnage semblait d’autant plus appropriĂ© pour une affiche consacrĂ©e Ă  une exposition itinĂ©rante.

Un Papillon questionne littĂ©ralement « l’image papillon Â», une affiche culturelle qui a une durĂ©e de vie limitĂ©e et qui dispose de peu de temps pour ĂȘtre apprĂ©hendĂ©e, et un papillon, dĂ©jĂ , piĂšce Ă  collectionner31. En double version, affiche ou poster, affiche et poster, exacerbant le questionnement français, autorisant peut ĂȘtre en 2013 Ă  moduler une dĂ©finition du graphisme Ă  l’économie rĂ©duite, Ă  l’instar du budget – et de l’ambition citoyenne â€“ des commanditaires. Objets graphiques : Ă©ditions multiples – numĂ©riques ou impressions â€“, disposĂ©s Ă  plus ou moins grande Ă©chelle dans les rĂ©seaux de distribution visuelle publique – et privĂ©e.
 

S’abstraire

Jamais avant cette date, une affiche de Fanette Mellier n’avait Ă©tĂ© aussi Ă©clatante, monumentale – bien que toutes ses affiches soient dĂ©terminĂ©es par la taille Decaux. La minuscule figure du papillon se mue en une majestueuse incarnation de la sĂ©rigraphie. Ce papillon est une autre transposition du rapport que la graphiste entretient avec la couleur dĂ©jĂ  dĂ©veloppĂ©e pour son affiche Specimen annonçant des expositions Ă  Chaumont – 2008. Pour SpĂ©cimen, Fanette Mellier explicitait et citait ses outils, les barres de couleurs Ă©taient rĂ©pertoriĂ©es, alignĂ©es – les deux affiches sĂ©parent texte et images. Dans un Papillon, elle matĂ©rialise l’acte de sĂ©rigraphier. Avec la complicitĂ© de l’Imprimeur Jean-Yves Grandidier et de son atelier le lĂ©zard graphique, la graphiste manipule la surface colorĂ©e en alchimiste des couleurs. « ConcentrĂ©e Â» Ă  l’instar de la matiĂšre encre32, Fanette Mellier a mĂ©langĂ© encres et vernis transparents, encres classiques et encres mĂ©talliques, repoussant les rĂšgles habituelles d’utilisation de la machine imprimante.

« Comme souvent dans mon travail, le processus d’impression est constitutif du projet graphique (
) Les quatre ailes seront imprimĂ©es sĂ©parĂ©ment et constitueront un terrain d’expĂ©rimentation plastique : dĂ©gradĂ©s, jets de couleurs, mĂ©langes alĂ©atoires, combinaisons d’encres spĂ©cifiques. Le texte et les logos imprimĂ©s sur les ailes auront aussi une couleur changeante au fil du tirage – tout en restant lisible â€“, avec des jeux de transparence. Les antennes-signature, imprimĂ©es en noir, et le jus bleu pĂąle du fond seront quant Ă  eux toujours identiques. Ces combinaisons produiront des affiches uniques Â».

L’affiche manifeste son appropriation du graphisme par les couleurs. Specimen serait mĂ©thodologique, Un papillon Ă©bruiterait davantage une intĂ©rioritĂ© expressive.

À la villa MĂ©dicis, entre des confettis anormalement hypertrophiĂ©s33 et l’élaboration de son ouvrage Marcus Manilius, Astronomicom Livre I34, le Papillon a pris forme. Il a littĂ©ralement dĂ©ployĂ© ses ailes dans une quĂȘte d’espace commun Ă  tous ses projets romains. Dans ses esquisses prĂ©paratoires, la graphiste a commencĂ© par dessiner un oiseau. HabituĂ©e Ă  ce que la profession compare, affiche et papillon, la figure papillon s’est naturellement imposĂ©e35 .

Affiche de Jan Lenica pour sa rétrospective au centre Pompidou, 1980.

Dans Un Papillon, les couleurs, solaires, intenses, mais aussi translucides glissent, se mĂȘlent, se fondent. La matiĂšre Ă©caille des lĂ©pidoptĂšres se rĂ©vĂšle dans la suavitĂ© de la modulation des encres – elle a mĂ©langĂ© les litres d’encre directement sur l’Ă©cran de sĂ©rigraphie. L’opacitĂ© de la couleur se rĂ©vĂšle impossible, la graphiste la modĂšle comme un espace de projection. La couleur est passage, vers une autre couleur, vers le fond, et mĂȘme dans la partie dorĂ©e de son aile, les reflets de l’encre font que la surface appelle Ă  la profondeur. Les encres sont jetĂ©es, manipulĂ©es, elles palpitent, une liquĂ©faction opĂšre36.

La limpiditĂ© colorĂ©e – ici cette liquiditĂ© â€“ se manifeste toujours dans les affiches ou les objets conçus par Fanette Mellier. Son recours aux formes simples traduit la clartĂ© des concepts qu’elle utilise37. « Sans le mot qui seul compte dans l’expression d’une pensĂ©e, la pensĂ©e en question n’est qu’un pur fantĂŽme en attente de corps. LĂ  oĂč les mots manquent pour la dire, manque aussi la pensĂ©e Â» affirme ClĂ©ment Rosset dans Le Choix des mots38. Le philosophe Ă©tend cette rĂ©flexion aux artistes. Les objets de Fanette Mellier donnent souvent cette impression qu’ils vont de soi, leur forme est Ă©clatante, car incontestable, Ă©vidente39. À la diffĂ©rence de ses prĂ©cĂ©dentes affiches, il palpite dans Un papillon, un sentiment lumineux et ambigu, une zone libre de dĂ©rĂšglements que la graphiste a su mettre en scĂšne dans ses « livres bizarres Â»4041.
 

Entre deux battements d’ailes

Figure rĂ©currente dans les livres pour enfants, le papillon symbolise le passage, la nĂ©cessitĂ© d’un Ă©panouissement. Pourquoi grandir, sans cet espoir de dĂ©ployer ses ailes ?42 L’imaginaire convoquĂ© par l’insecte papillon dĂ©passe le stade larvaire pour atteindre un Ă©tat – Ă©phĂ©mĂšre â€“ de plĂ©nitude. « Elle est devenue un superbe papillon ! Â» conclut Eric Carle dans son album sur la chenille43. Le papillon Ă©lĂšve l’enfant, l’invitant Ă  penser dans les airs, Ă  ĂȘtre moins apeurĂ© de grandir.

Les papillons vĂ©hiculent la promesse de voler, de regarder Ă  distance, dans un Ă©tat au seuil de la conscience : « ĂȘtre soustrait du monde Â». RĂȘve d’apesanteur, rĂȘve d’immatĂ©rialitĂ©, d’ĂȘtre pure crĂ©ation sans incarnation.
Avec Iela et Enzo Mari, dans La Pomme et le Papillon, ou Les aventures d’une petite bulle rouge, le papillon Ă©veille Ă  la libertĂ©. Avec eux, le papillon est blanc, espace pour inventer et composer. Ce minuscule ĂȘtre peut contenir toutes les couleurs et toutes les combinaisons. Par sa forme cernĂ©e et ronde, il convoque les plaisirs de la variation. En dĂ©limitant et coloriant les papillons, l’enfant passe son temps Ă  inventer formes, motifs et combinaisons visant Ă  harmoniser et Ă  Ɠuvrer avec le vide.

Dessins de Maxence et de Lucien.


 

Tendre l’oreille

Il y a une suprĂ©matie du voir dans cet animal – et du plaisir du collectionneur de papillons â€“, qui nous ramĂšne Ă  notre position d’ĂȘtre contemplatif. La contemplation comme une des voies possibles de la comprĂ©hension.

« Avais-je connu le grand, le trĂšs grand dĂ©tachement ? Au moins en avais-je eu un, tel que je savais maintenant que dans cette voie il y a une autre vue, la vue Ă©tendue qui se passe du moi, et qui imperturbĂ©e, se dĂ©ploie, se prolonge et, sans s’arrĂȘter, sans dĂ©vier, sans trous, sans fin se parachĂšve, en phase avec une onde inattendue, inaperçue Â».44

Si la fonctionnalitĂ© a une valeur d’immĂ©diatetĂ©, la contemplation nĂ©cessite d’accorder le temps, d’ĂȘtre happĂ© par une certaine distance – un a posteriori â€“, d’arrĂȘter le bruit et les mouvements quotidiens, afin de se projeter ailleurs.
 

Se heurter à la liberté

Le papillon de Fanette Mellier, dans sa version Cart Comm, est arrivĂ© dans ma bibliothĂšque en mĂȘme temps que deux livres de Virginia Woolf dont le graphiste iranien Majid Abbissi a conçu les couvertures. Les deux exercent la mĂȘme attraction. De lĂ©gĂšretĂ©, malgrĂ© les cailloux au fond des poches – Virginia Woolf met des cailloux au fond de ses poches avant de se noyer dans la riviĂšre Ouse en 1941. Majid Abbissi parsĂšme le portrait photographique45 de la londonienne de marguerites, mettant ainsi en tension les temps de plĂ©nitude que vit chaque mortel avec la fin tragique inĂ©luctable qu’incarne dorĂ©navant le visage de Virginia Woolf. Peu de temps avant son suicide, Virginia Woolf, Ă©crit The Death of the Moth. Avec La mort de la phalĂšne, c’est un Ă©pisode bien particulier que conte Virginia Woolf, un fait quotidien qui devient une quĂȘte sur le sens de la vie, une rĂ©flexion mĂ©taphysique sur la destinĂ©e humaine. Elle y mĂȘle son sens aiguisĂ© de l’écoute. L’écrivaine mĂ©dite les pulsations de vie et de mort d’un papillon nocturne et crĂ©pusculaire et les relie Ă  des questions relatives Ă  l’harmonie avec la nature ; quĂȘte que mĂšne d’une autre maniĂšre W.G. Sebald.

« Dehors souffle une lĂ©gĂšre brise Â». « Un profond sentiment de bonheur m’envahit, comme si j’avais enfin rejoint nature Â».46

 

Papillon, Virginia Woolf, Majid Abbissi, Jean-Luc nancy

Regarder le papillon ou ĂȘtre le papillon ?

Passer et penser d’une phalĂšne, grise et petite, uniquement dĂ©crite par des mots – Virginia Woolf â€“, Ă  un papillon gigantesque, ĂȘtre de pures couleurs – Fanette Mellier
 la comparaison oscille entre le malaise existentiel – confrontĂ© Ă  la tragĂ©die de la seconde guerre mondiale â€“ et la splendeur de l’apesanteur. Deux trajectoires de papillons et un mur. Les deux papillons se heurtent Ă  une vitre, la vitre d’une fenĂȘtre, d’une sucette Decaux. Les deux renvoient – peut ĂȘtre â€“ au rĂȘve fondateur de voler, d’échapper Ă  la destinĂ©e : passer du cĂŽtĂ© du jardin, devenir un objet autonome qui n’aurait plus besoin d’une permission – Decaux. Être soi, humblement et contraint de ces limites, et ĂȘtre plus que soi. Le papillon a si peu de temps pour profiter de ses ailes que son hĂ©sitation est redoutable.


Rebecca HORN, Happy life within Blue 2004.

Revenons Ă  cette question. Faut-il conserver le papillon, lui donner une chance d’ĂȘtre Ă©pinglĂ© ? Comment choisir les spĂ©cimens Ă  sauver ? Dans la lutte mĂȘme, « cet effort gigantesque de la part d’une phalĂšne insignifiante Â». C’est dans la lutte que l’objet mĂšne qu’il naĂźt objet. Quand cette lutte devient tangible. La plupart des objets graphiques ne luttent pas pour vivre au-delĂ  de leur vie d’outil de communication47.

«Ce qu’elle pouvait faire, elle le faisait. En l’observant on avait le sentiment qu’une fibre, particuliĂšrement tĂ©nue mais pure, de l’immense Ă©nergie de l’univers avait Ă©tĂ© introduite dans ce corps minuscule et fragile. A chacune de ses traversĂ©es de la vitre, il me semblait voir vivre un filet de lumiĂšre. Il n’était Ă  peu prĂšs rien, mais il Ă©tait la vie »48.

Parfois, l’objet graphique poursuit la bataille au-delĂ  de sa fonctionnalitĂ© – bataille pour imposer la pertinence du graphisme. PrĂ©cisĂ©ment, dans sa valeur d’inutilitĂ©, l’affiche Un papillon comble, par sa gratuitĂ© et sa beautĂ© la scĂšne publique. De beautĂ©, il est vraiment question ici. Jean-Luc Nancy, lors d’une confĂ©rence pour un jeune public Ă©voquait l’évidence de la beautĂ© – ainsi que sa dimension inquiĂ©tante49. Surtout « quand vous voyez des peintures ou des photographies prises dans l’intention de faire une Ɠuvre d’art, vous ne pouvez pas tourner la page. Il faut s’arrĂȘter dessus, y revenir Â»50. Ainsi de certains papillons et de cette affiche. Revenir, Ă©pingler, c’est savoir pertinemment que quelque chose51 ne s’est pas Ă©puisĂ©52.
 

Effet papillon

Le battement d’aile d’un papillon, cet effleurement si minime a-t-il une influence rĂ©elle ? La thĂ©orie de l’effet papillon fait gronder la menace de l’instabilitĂ© de notre univers nĂ© du chaos. La mĂ©taphore est plus impactante que rĂ©elle. L’effet papillon c’est d’une autre maniĂšre la mesure du presque rien53, « ces petites phrases Â», « ces petites images Â» qui s’avancent inoffensives. Les ailes du papillon ont un poids, mortel. « Ce fut la plume ajoutĂ©e au poids des ans, celle qui l’anĂ©antit Â»54. Le conte mĂ©taphorique d’Erri de Luca, Le poids du papillon, l’a si simplement Ă©voquĂ©, son braconnier ne pensait qu’à la force du chamois qu’il convoitait, non au parcours, encore moins Ă  cet infime insecte. Il a concentrĂ© ses forces sur une obsession intĂ©rieure et la mort, insoupçonnable, l’a rattrapĂ©e, ailleurs. Le papillon est l’inverse d’un leurre, il recentre l’existant.

Le papillon de Fanette Mellier a la gravitĂ© de la phalĂšne de Virginia Woolf, ils convoquent au temps de la conscience, qu’elle soit concentrĂ©e ou papillonnante. A quoi sert une affiche dans un espace public ?5556 À quoi servent un papillon, l’image d’un papillon et l’« image papillon Â» ?57

Grégoire Romanet, Macules et conception, affiches pour édito, 2012

« On me rĂ©pondra qu’il n’est plus possible de “changer le monde”. C’est Ă©videmment faux : le changement du monde n’est pas seulement possible, il est constant Â» martĂšle Bernard Stiegler, qui inlassablement dĂ©cadre nos peurs58. Changement n’équivaut pas Ă  Ă©volution, progrĂšs, Ă©panouissement, mĂȘme s’il le sous-entend en partie, mais il dit mouvements, dĂ©placements – la terre tourne et nous vieillissons constamment. La chenille se mue en papillon, mais le vol d’un papillon paraĂźt chaotique, hachĂ©, en circonvolutions permanentes, suivant les caprices du vent. Un vol dĂ©viant, toujours de l’intentionnalitĂ© qu’il avait prĂ©vu ? DĂ©viance du vol ou du regard portĂ© sur le vol ? Un papillon dĂ©vie toujours le regard, le concentre ailleurs. Un papillon est Ă©pinglĂ©, le vol ou la promesse de son vol plane.
 

ÉchappĂ©e. L’affiche Un papillon est libre. Entre les mains d’autres regards, libres d’inventer d’autres usages.

  1. W.G Sebald, Les Anneaux de Saturne, traduit de l’allemand par Bernard Kreiss, Actes Sud, 1999, p. 29 []
  2. DĂ©finition du Petit Robert. []
  3. Les couvertures de livres sont actualisées à chaque ré-édition. []
  4. Cf. Deyan Sudjic, Le Langage des objets, Pyramyd, 2012 []
  5. Cf le chapitre « L’art comme renaissance et l’immortalitĂ© de l’homme idĂ©al Â», in Georges Didi-Huberman, Devant l’image, Questions posĂ©es aux fins d’une histoire de l’art, Éditions de minuit, 1990, p.78 []
  6. « Cependant, pour Vier5, la lisibilitĂ© ne constitue plus l’enjeu majeur de la crĂ©ation de caractĂšres qui doit en revanche s’adapter aux exigences prĂ©sentes Â», Catherine de Smet, « Graphisme d’inutilitĂ© ludique (pourquoi j’aime le travail de Vier5) Â», in Pour Une Critique du design graphique, B42, 2012, p.120 []
  7. Cf les affiches de m/m Paris pour le thĂ©Ăątre de Lorient, magnifiant l’ambigĂŒitĂ© de l’image, Ă  la fois Ă©trangĂšre et fidĂšle Ă  la piĂšce de thĂ©Ăątre en question. Elle font de l’illisibilitĂ© typographique – plus feinte que rĂ©elle â€“ un gage libĂ©rant l’affiche de la reprĂ©sentation de la piĂšce tout en lui confĂ©rant une singularitĂ©. Le Jour des meurtres dans l’histoire d’Hamlet emprisonne dans une vitrine un insecte aux ailes marrons, parmi les objets d’une collection privĂ©e rĂ©vĂ©lant par un demi-autoportrait, l’acte de consigner le temps et la confusion (de la collection des objets, des photos, des dessins, des souvenirs). PrĂ©cisĂ©ment, dans cette piĂšce, KoltĂšs interroge les reflets et les Ɠuvres du passĂ© pour incarner les doutes du « faire histoire Â». []
  8. Aujourd’hui, l’activisme particulier des acteurs du design graphique sur les rĂ©seaux sociaux (facebook, twitter, tumblr, pinterest) relĂšve de cette dĂ©marche. []
  9. Certains d’entre nous tentent de les consigner en ne sachant pas si les boites qu’ils ont confectionnĂ©s ont une quelconque consistance. Ces deux derniĂšres dĂ©cennies, la numĂ©risation des images rend moins submersible le graphisme dans l’enfouissement historique continuel, pour autant, l’archivage numĂ©rique qui paraĂźt inĂ©puisable et infaillible interroge les outils qui permettront de lire cette documentation, demain. Seront-ils toujours accessibles ? []
  10. « Il y a un vrai problĂšme en France, c’est que le synonyme du mot culture est le mot savoir, ce qui est une erreur fondamentale. Pour moi, le vrai synonyme du mot culture, c’est le mot curiositĂ©. Le savoir c’est ce qui s’empile, s’archive, la culture c’est ce qui s’invente en permanence Â» Ă©voquait Gilles de Bure. []
  11. « Une affiche dans une musĂ©e est un papillon mort Â» scande Alain le Quernec in Vanina Pinter, « Alain le Quernec, mise Ă  nu Â», Ă©tapes : 79, dĂ©cembre 2001, p.60 []
  12. Goethe citĂ© dans Muriel Pic, W.G. Sebald, l’image papillon, Les presses du rĂ©el, l’espace littĂ©raire, 2009, p.140. []
  13. Jean-François Lyotard, « Intriguer ou le paradoxe du graphisme Â», in Vive les graphistes !, Paris, Centre Georges Pompidou, SNG, 1990. []
  14. Cf JĂ©rĂŽme Glicenstein, L’art : une histoire d’exposition, Lignes d’art, PUF, 2009, p.221 et suivantes []
  15. On n’épingle pas les grenouilles ! Le papillon se dĂ©vitalise sans altĂ©ration de sa beautĂ©. []
  16. Emmanuel LĂ©vinas, La mort et le temps (1991), Biblio essais, 1994, p.11 []
  17. Étonnant comme nombre de papillons ont des noms aux accents divins : apollon, uranie, danaĂŻde parnassien, saturnie
 []
  18. CF la stratĂ©gie en court-circuits thĂ©oriques et visuels Ă©laborĂ©s lors de l’exposition Pierre Faucheux par l’Agence du doute dans le cadre du Nouveau Festival au centre Pompidou (2013). []
  19. André Malraux, Le musée Imaginaire (1965), Folio essais, p. 256 []
  20. Cf JĂ©rĂŽme Glicenstein, L’art : une histoire d’exposition, Lignes d’art, PUF, 2009, p.205 []
  21. « Le fait d’exposer un support graphique dans un cadre ou une vitrine le dĂ©nature en quelque sorte. En ce qui nous concerne, nous ne sommes pas trĂšs Ă  l’aise avec l’idĂ©e d’exposer des supports graphiques que nous avons rĂ©alisĂ©s dans le cadre d’une commande. Nous prĂ©fĂ©rons considĂ©rer l’exposition elle-mĂȘme en tant que commande Â», Norm Ă  l’occasion d’une exposition Ă  Chaumont Superficial 1+6+15+20+15+6+1=64, Catalogue du 21e festival internationale de l’affiche et du graphisme de Chaumont, p.27 []
  22. Au sujet de la rĂ©activation via la reproduction, voir le travail de JĂ©rĂŽme Saint-Loubert BiĂ© et le livre Documents http://www.jslb.fr/index.php?/book-design/documents/ http://www.jslb.fr/index.php?/book-design/documents/ . Pour les expositions sur les processus, voir le travail de Daniel Eatock, l’exposition de Norm Ă  Chaumont en 2008. []
  23. Cf « Papillons Â», article de Xavier Rey, Catalogue de l’exposition Dada, Centre Pompidou, p 766. []
  24. DĂ©finition du Petit Robert []
  25. DĂ©finition du Petit Robert []
  26. Muriel Pic, W.G. Sebald – l’image papillon, Les presses du rĂ©el, l’espace littĂ©raire, 2009 []
  27. Les affiches culturelles cĂŽtoient l’invisibilitĂ©. Il est peu Ă©vident de les percevoir car d’annĂ©es en annĂ©es, elles sont de moins en moins diffusĂ©es, et de ce fait davantage enfouies au milieu d’autres affiches publicitaires. []
  28. Muriel Pic, op.cit., p 62 []
  29. Le papillon a Ă©tĂ© choisi notamment parce qu’il s’agissait d’une exposition itinĂ©rante, pensĂ©e par Vincent Perrottet et Thomas Huot-Marchand, prĂ©sentĂ©e successivement en 2012 Ă  l’Institut SupĂ©rieur des Beaux-Arts de Besançon, puis aux Silos dans le cadre du Festival de Chaumont et Ă  l’École supĂ©rieure d’art et de design d’Amiens. Il s’agit d’une sĂ©lection d’affiches rĂ©alisĂ©es par des graphistes et sĂ©rigraphiĂ©es dans l’imprimerie de Jean-Yves Grandidier. []
  30. RanciÚre Jacques, Le spectateur émancipé, la fabrique éditions, 2008 []
  31. L’« affichomanie Â» est quasi concomitant Ă  la naissance de l’affiche Ă  la fin du XIXe siĂšcle. []
  32. « AbsorbĂ© par le secret de leur fabrication Â», comme Ă©crit W.G. Sebald dans Les Anneaux de Saturne. []
  33. Galaxy print avec Olivier Vadrot, http://www.fanettemellier.com/roma.html []
  34. Edition B42, 2013 []
  35. « La figure du papillon me semble signifiante Ă  trois Ă©gards :
    ‱ Il annonce habituellement le printemps, il annonce ici la Saison Graphique.
    ‱ L’analogie entre collections de papillons et collections d’affiches permet des parallĂšles intĂ©ressants : ils s’Ă©pinglent Ă  la verticale, se conservent prĂ©cieusement, sont en deux dimensions, etc.
    Les affiches imprimées par Lézard graphique, comme les ailes des papillons, sont merveilleuses dans leurs couleurs et leurs reflets. Elles suscitent tout autant de fascination.
    ‱ Enfin, le mouvement gracieux des ailes symĂ©triques du papillon, qui agissent comme un dĂ©calque, renvoie de façon poĂ©tique Ă  l’idĂ©e de l’impression. Mouvement entre forme imprimante et forme imprimĂ©e
 Â» Fanette Mellier dans sa note d’intention adressĂ©e Ă  la Saison graphique. []
  36. Fanette Ă©voque qu’elle a conclu par « des jets de gouttes de diluants sur l’encre avant passage de la racle, ce qui produit ces petites gouttes alĂ©atoires sur les ailes Â». []
  37. « Mellier, who is comfortable designing at a variety of scales-posters, identities, typeface, and books is perharps best known for her inventive use of color and shape to transform words and letterforms into imagistics compositions Â», Andrew Blauwelt, in Graphic design : Now in production, Cooper Hewitt, National design museum, p.108 []
  38. ClĂ©ment Rosset, Le Choix des mots, Éditions de minuit, 1995, p. 41 []
  39. Cf son travail pour le parc Saint LĂ©ger []
  40. cf les romans Bastard Battle de CĂ©line Minard et Le travail de riviĂšre de Laure Limongi []
  41. Cf Victor Guegan, « Des Livres bizarres, Fanette Mellier et la question de l’écriture Â», in Le Livre au corps, Presses Universitaires de Paris Ouest. []
  42. Revoir l’affiche de Jan Lenica pour sa rĂ©trospective au centre Pompidou en 1980, avec ses ailes immenses qui pousse dans son dos. De profil, l’homme-dont on peut que penser qu’il s’agit d’un autoportrait est toujours en mutation intĂ©rieure. []
  43. Eric Carle, La Chenille qui fait des trous (1969), Mijade, 1995 []
  44. « Survenue de la contemplation Â», in Henri Michaux, Face Ă  ce qui se dĂ©robe, Gallimard, Paris, 1975, p.116. []
  45. De G.C Beresford, Virginia Woolf a alors vingt ans et elle semble avoir toujours vingt ans. []
  46. W.G. Sebald, L’art de voler, in Muriel Pic, op.cit. []
  47. Sans aucun doute, car les auteurs ne se sont pas investis, ils n’ont pas eux-mĂȘmes luttĂ© pour crĂ©er cet objet. L’objet, l’Ɠuvre est toujours le fait d’une conscience, d’un auteur qui s’est armĂ© pour crĂ©er. []
  48. Virginia Woolf, La Mort de la phalĂšne, traduction de Marie Picard, Edition Sillage, p.25 []
  49. Ici, présente par ce sentiment ambigu de dérÚglements. []
  50. Jean-Luc Nancy, La beauté, les petites conférences, Bayard, 2009 p.29 []
  51. Ce quelque chose a Ă  voir avec la quĂȘte du sens. Le graphiste dessine Ă  dessein. []
  52. MĂȘme fixĂ©, le beau papillon continue de nous Ă©chapper. []
  53. « J’oubliais que chaque petit acte de la vie quotidienne fait ou dĂ©fait le caractĂšre et qu’en consĂ©quence il faudra un jour crier sur les toits ce que l’on a fait en secret Â», constate Oscar Wilde dans sa cellule alors qu’il est en prison, en lutte contre lui-mĂȘme, contre et pour sa rĂ©habilitation. Oscar Wilde, De profundis, traduit de l’anglais par LĂ©o Lack, bibliothĂšque cosmopolite, Stock, 1982, p.105. []
  54. Erri de Luca, Le poids du papillon, traduit de l’italien par DaniĂšle Valin (2009), Folio Gallimard, 2011, p.68 dont le Chasseur ermite pĂ©rit le jour oĂč il tue l’animal qui convoite depuis des mois. « La grandeur des exploits consiste Ă  avoir tout autre chose en tĂȘte Â» p 22. []
  55. Les affiches d’auteurs sont souvent fustigĂ©es, car elles Ɠuvrent pour elles, elles ne servent Ă  rien, elles ne rĂ©pondent Ă  aucune rĂ©alitĂ© de commande. Or la gratuitĂ© – de la crĂ©ation ou de la beautĂ© â€“ est peut ĂȘtre une rare chose que notre Ă©conomie ne maitrise pas. []
  56. « The poster persists not on the basis of the value as a device to reache the masses but on its aesthetic and symbolic value Â». in The Persistence of posters, Andrew Blauvelt, op.cit. p93. []
  57. À plusieurs occasions, complice de Fanette Mellier, GrĂ©goire Romanet avait, pour Une Saison Graphique 2013, rĂ©activĂ© sa sĂ©rie d’affiches rĂ©alisĂ©es pour Edito, oĂč justement il fossilise une image de papillon, dont les ailes sont impressionnantes, qu’on pourrait associer aux ailes de paon : qui regardent le spectateur en train de chercher le sens de l’Ɠuvre. []
  58. Bernard Stiegler, La tĂ©lĂ©cratie contre la dĂ©mocratie, Champs essais, Flammarion, 2008 p.59. Le philosophe avec son association Ars Industrialis entend rĂ©enchanter le monde et la vie de l’esprit. []

Entrevue

Beauregard