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Entrevue

1 commentaire

PoĂŻng

  1. Quel Ă©clectisme ! Toutefois j’aurais aimĂ© sentir un peu plus les « racines des chemins de traverse », comment toutes ces expressions ont infusĂ©es au-delĂ  et en-deçà de leurs pratiques…

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Karl Gerstner, Magazine Werk, couverture et double page intérieure, 1955

Karl Gerstner, magazine Capital, Grille et trois doubles pages intérieures, 1962

Le 9 octobre 2009 Ă  23:20, pascal trutin a Ă©crit :
 

Ébahi par vos Ă©changes de smashes magistraux, je tente de conclure le point par une amortie…
Est-ce un ping, est-ce un pong ?
 

Ă€ propos de la question du fonctionnalisme, de ses enjeux et de ses Ă©ventuelles rĂ©sonances sur la scène contemporaine, je me demandais, en m’immisçant dans le dĂ©bat, si le fonctionnalisme — j’entends par lĂ  non pas uniquement un style particulier, historiquement et emblĂ©matiquement incarnĂ© par la Neue Grafik de Gerstner et consors, mais aussi une inclination Ă  produire une forme qui serve la fonction, une forme appropriĂ©e, raisonnĂ©e et qui dans le meilleur des cas n’entrerait jamais en conflit avec l’objet qu’elle est sensĂ©e servir — ne serait pas aux arts appliquĂ©s en gĂ©nĂ©ral et au graphisme en particulier ce qu’a Ă©tĂ© pendant si longtemps l’épineuse question de la mimĂ©sis dans la peinture. C’est Ă  dire la raison d’être « supĂ©rieure Â» du champ disciplinaire concernĂ©, peinture ou graphisme, son dogme fondateur, son système dominant, sa moelle en quelque sorte… Avant de s’en dĂ©barrasser violemment mais rĂ©solument dans une entreprise d’exorcisme et de table-rase qu’a prĂ©cisĂ©ment accomplie la peinture Ă  l’époque des avant-gardes. Car si la peinture a justement gagnĂ© son autonomie, c’est au moment oĂą, initiĂ©e progressivement par les prĂ©-modernes Ă  la fin du XXe siècle et par des voies diverses, mais conduisant toutes Ă  l’abstraction, elle s’est dĂ©finitivement affranchie de la vocation qu’on lui a toujours prĂŞtĂ©e Ă  reprĂ©senter le rĂ©el. On notera au passage que le NĂ©oplasticisme en fut l’une des voies les plus radicales et abouties, mais on en reparlera plus loin.
 

Je me demandais donc si le graphisme n’était pas trop polarisĂ© par cette question du fonctionnalisme, de son utilitarisme et de son asservissement au « message », Ă  l’instar d’une peinture pendant plusieurs siècle prioritairement imitative et figurative, et s’il n’était pas lui-mĂŞme actuellement, voire depuis quelques temps, dans une quĂŞte d’émancipation, dans sa propre phase de prĂ©-modernitĂ© (la prĂ©-modernitĂ© succèdant Ă  la post-modernitĂ©, ironie des mots, des cycles historiques ou autres effets de bascules) ? IdĂ©e qui me traverse l’esprit et qui suppose de comprendre le fonctionnalisme comme une forme classique du graphisme, quand bien mĂŞme se serait-il construit sur les valeurs du modernisme.

Pierre di SCiullo, N’importenawak, installation-performance, Chaumont, 2008

Pierre di SCiullo, N’importenawak, installation-performance, Chaumont, 2008

Je n’ai bien évidemment pas de réponses tranchées à cette question mais je suis frappé par plusieurs phénomènes dans le graphisme contemporain qui pourraient éventuellement l’éclairer ou la nuancer.
D’abord l’Ă©mergence puis le dĂ©veloppement très caractĂ©ristique de pratiques, qu’on a coutume de rĂ©unir sous l’étiquette de « graphismes d’auteurs Â» (Ă  la rĂ©serve près que certains d’entre eux peuvent ĂŞtre aussi crĂ©ditĂ©s stylistiquement de fonctionnalistes), qui tournent rĂ©solument le dos aux procĂ©dures de type « solving problem » et aux productions qui en dĂ©coulent. Ă€ l’inverse, ces pratiques interrogent, expĂ©rimentent, manipulent le langage propre au graphisme (ses codes, ses outils, ses matières d’expression, ses modes de production,…), avec les risques inhĂ©rents Ă  l’exercice, Ă  savoir celui de la disparation de la commande, remplacĂ©e par les logiques d’autoproduction et d’autopromotion, et celui aussi de la confusion des genres, entre graphisme « pur » (on prĂ©fĂ©rera dire autonome) et arts plastiques, confusion entretenue et soulignĂ©e au passage par une certaine orthodoxie fonctionnaliste parfois proche Ă  ce titre d’un certain acadĂ©misme. En Ă©voquant ce type de posture, je pense non seulement Ă  notre Pierre Di Sciullo national (dont le travail entretient Ă  mon sens, coĂŻncidences obligent, quelque cousinage formel avec l’école batave), mais aussi Manuel Reader pour ne citer que quelques figures tutĂ©laires. Ă€ cet Ă©gard, peut-ĂŞtre nous, les français, sommes nous fascinĂ©s par des pratiques souvent restĂ©es ouvertes et dĂ©cloisonnĂ©es chez les anglo-saxons Ă  la diffĂ©rence d’une approche très sectorisĂ©e chez nous, comme semblent le souligner les politiques de formations respectives des deux sphères culturelles.

Manuel Reader, Fuga di un piano, Manifesta 7, Rovero, 2008

Elektrosmog, Storno, police de caractères typographiques, 1999

Cornel Windlin, Dot Matrix, police de caractères typographiques, 1991-1998

Bastien Aubry, Macaroni font, police de caractères typographiques, 1991-1998

D’autre part je ferai aussi le détour obligé par la Neue Schweizer Grafik, autrement dit le renouvelé « nouveau style suisse » (déjà devenu lui même ancien). Hormis le fait, dans ce cas précis, que les nouvelles technologies et les nouveaux médias aient sans doute joué un rôle prépondérant dans son entreprise de revisitation de l’histoire du graphisme domestique, il me semble intéressant de rappeler comment les graphistes de cette mouvance se sont détachés, souvent avec l’ironie consommée et l’irrévérence propre à la « youth culture » quand ce n’était pas par nécessité, du travail de leurs illustres aînés qui a pourtant largement continué de les nourrir.
Je prendrai Ă  ce titre pour illustration exemplaire la Storno Font d’Elektrosmog, une gĂ©omĂ©trique apparemment normative mais ridiculement hors de proportion, la Dot Matrix Faces de Cornell Windlin, rĂ©interprĂ©tation bitmap de trame 6 d’une Akzidenz grotesk, ou paradigme de l’ironie, la Macaroni Font de Bastien Aubry (Herbert, je t’aime moi non plus). Derrière toutes les nuances qu’autorisent les catĂ©gorisations et les dĂ©nominations historiques complexes, ce post-modernisme dĂ©sormais reconnu ne serait-il pas en fait un prĂ©-modernisme spĂ©cifique au graphisme, qui sans rompre dĂ©finitivement avec son histoire met mĂ©ticuleusement en pièce les règles Ă©tablies par la Grande et Éternelle École suisse ? N’est-ce pas par une aussi belle « couillardise Â» comme la Moderne Olympia que CĂ©zanne devint CĂ©zanne ?

Paul Cézanne, Une Olympia Moderne, Musée d'Orsay, Paris, 1874

Georges Vantongerloo, Fonction de lignes, 1936

J’en reviens pour finir Ă  notre scène hollandaise contemporaine en me demandant comment je pourrai la situer par rapport Ă  la famille fonctionnaliste. Et par un raccourci peut-ĂŞtre un peu prĂ©somptueux, malgrĂ© leurs parallĂ©lismes constructifs et structurels, j’oserai associer plus ou moins Ă©troitement le fonctionnalisme suisse et ses ersatz Ă  la sphère industrielle tandis que que le graphisme batave appartiendrait Ă  mes yeux plutĂ´t Ă  la sphère plasticienne. N’oublions pas que Gerstner a fait ses armes et Ă©tabli les fondements de sa conception du graphisme alors qu’il travaillait pour Geigy alors qu’il me semble que le graphisme hollandais n’a, durant toute son histoire, jamais vĂ©ritablement rompu les liens qui le rattachaient au NĂ©oplasticisme, quand bien mĂŞme il aurait absorbĂ© durant son Ă©volution quelques traits conjuguĂ©s du pop, de l’art minimal et de l’art conceptuel. Et s’il est très mystique chez Mondrian, le NĂ©oplasticisme est beaucoup plus ouvert et moins extrĂŞme chez Van Doesburg, Vantongerloo et dans son prolongement graphique chez Paul Schuitema ou Piet Zwart. Quoiqu’en dise aujourd’hui pudiquement Armand Mevis, quand il soutient que les formes qu’il produit Ă©mergent librement et presque par hasard d’un programme ou d’une mĂ©thode strictement Ă©tablie, ces formes sont bien lĂ  et perpĂ©tuent l’image d’un graphisme batave Ă  la plasticitĂ© très affirmĂ©e. Et contrairement aux pratiques spĂ©cifiquement conceptuelles oĂą souvent la mise en forme est effacĂ©e, dĂ©libĂ©rĂ©ment rĂ©alisĂ©e par dĂ©faut, inscrite dans des registres situĂ©s hors des conventions esthĂ©tiques admises ou se rĂ©fĂ©rant Ă  des disciplines que l’on a coutume d’opposer Ă  l’art (registre scientifique ou administratif), on retrouve rĂ©initialisĂ© notamment dans le travail de Mevis et Van Deursen, mais aussi dans celui plus dĂ©calĂ© d’un Jan van Toorn, les jeux classiques du graphisme hollandais autour de la trame, des superpositions et transparences, des combinaisons infinies des formes Ă©lĂ©mentaires, des ruptures d’échelles, des chromatismes bruts… Dans le cas particulier de If/Then signalĂ© par Catherine, la collaboration de Mevis et Van Deursen avec Pierre Bismuth produit Ă  cet Ă©gard des rĂ©sultats Ă  la plasticitĂ© très significative, au sein d’un projet global il est vrai plus austère. Peut-ĂŞtre est-ce cela qui me frappe dans le graphisme hollandais : ce savant mariage entre la rigueur et la libertĂ©, entre la simplicitĂ© et l’élĂ©gance, entre la logique et la sensualitĂ©. C’est peut-ĂŞtre aussi prĂ©cisĂ©ment cette capacitĂ© de synthèse des contraires et des contrastes, loin de fermer la porte aux hĂ©ritages historiques mais pouvant s’enrichir et se renouveler sans cesse.

Theo Van Doesburg, doubles pages intérieures de la revue Mécano n° 1, 2 et 3, 1922

Paul Schuitema, «8», 1932-37

Piet Zwart, affiches publicitaires pour Kabels

Balle dans le filet. Ploc, ploc ploc… fin de partie pour moi.


Illustrations

  • (1) Karl Gerstner Magazine Werk. Couverture et double page intĂ©rieure. 1955.
  • (2) Karl Gerstner Magazine Capital. Grille et trois doubles pages intĂ©rieures. 1962.
  • (3.4) Pierre Di Sciullo N’importenawak. Installation-performance. Chaumont 2008.
  • (5) Manuel Reader Fuga di un piano, Manifesta 7, Rovero, 2008.
  • (6) Elektrosmog Storno. Police de caractères typographiques. 1999.
  • (7) Cornel Windlin Dot Matrix. Police de caractères typographiques. 1991-1998.
  • (8) Bastien Aubry Macaroni font. Police de caractères typographiques. 1991-1998.
  • (9) Paul CĂ©zanne Une Olympia Moderne. MusĂ©e d’Orsay, Paris. 1874.
  • (10) Georges Vantongerloo Fonction de lignes. 1936.
  • (11) Theo Van Doesburg, doubles pages intĂ©rieures de la revue MĂ©cano n° 1, 2 et 3, 1922
  • (12) Paul Schuitema «8». 1932-37.
  • (13) Piet Zwart Affiches publicitaires pour Kabels.

Beauregard