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Pascal BĂ©jean, conversation

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Helmo, Une terrible beauté est née,
Babel in demand, Blurb,
photographie Pascal BĂ©jean

Le 14 avr. 2012 à 13:39, thierry chancogne a écrit :
 

Comme on le sait, un travail graphique intĂ©ressant est la plupart du temps le fruit du travail avec un « bon commanditaire Â»Â  — entendre un commanditaire intĂ©ressĂ© par la collaboration avec un graphiste intĂ©ressant â€”. La recherche de ces commanditaires de qualitĂ© est souvent le premier travail du graphiste.
 

Il arrive qu’un commanditaire, bon ou mauvais, choisisse un graphiste, parmi ceux qu’il connaĂźt, qu’on lui a recommandĂ© d’une façon ou d’une autre, mais la plupart du temps, la procĂ©dure d’élection passe par la mise en concurrence de projets. Ce que l’on appelle communĂ©ment un appel d’offre et qui prend, dans le cas de marchĂ©s intĂ©ressant la place publique, un tour obligatoire.
 

Entre protocole dĂ©mocratique et injonction libĂ©rale de compĂ©tition, cette façon Ă  priori si Ă©vidente d’assurer une certaine reprĂ©sentativitĂ© des graphistes en amont, et de garantir une relative qualitĂ© de la production graphique en aval, ne propose une dĂ©marche rĂ©ellement satisfaisante que si toute une sĂ©rie de rĂšgles assez compliquĂ©es sont respectĂ©es.
 

Car de telles habitudes du mĂ©tier peuvent vite poser problĂšme. Comment garantir une rĂ©elle pluralitĂ© et une rĂ©elle qualitĂ© des concurrents ? Quelles sont les conditions rendant ces concours viables pour les studios qui ne sont finalement pas retenus ? Qui est habilitĂ© pour juger de la qualitĂ© des prĂ©tendants, de celle des projets ? Comment, dans cet effort de rĂ©gulation administrative du procĂšs de la commande, garantir la dimension de confiance et de prise de risque peut ĂȘtre nĂ©cessaire Ă  l’émergence de productions de qualitĂ© ?
 

Autant de questions qui touchent Ă  la rĂ©gulation, Ă  la protection ou Ă  la structuration fĂ©conde d’un mĂ©tier que nous allons poser Ă  Pascal BĂ©jean. Pascal BĂ©jean qui, avec Nicolas Ledoux, est trĂšs investi pour entretenir et dĂ©velopper la rĂ©activitĂ© de la communautĂ© graphique contre les usages abusifs de la commande, un peu au delĂ  des chartes et des cadres normĂ©s de l’Alliance Française des Designers. Comme un geste nĂ©cessaire de prĂ©servation des conditions d’exercice du mĂ©tier. Un geste plus largement citoyen. Une façon aussi de permettre Ă  la citĂ© de profiter d’un graphisme exigeant.

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Thierry
— Commençons par le commencement : Peux-tu revenir sur les propositions que vous faites pour dĂ©finir des cadres plus respectueux et intĂ©ressants au processus de la commande, et notamment de la commande publique ?

Le 14 avr. 12 Ă  22:56, Pascal BĂ©jean a Ă©crit :

— Quand nous prenons connaissance d’un appel d’offre qui semble incorrect, nous rĂ©digeons une lettre qui explique Ă  l’institution publique Ă©mettrice pourquoi nous refusons d’y rĂ©pondre.

En trois temps : nous saluons leur projet et la recherche d’un designer, nous analysons et critiquons les conditions du marchĂ©, pour finalement dĂ©cliner et suggĂ©rer une mĂ©thode plus adaptĂ©e Ă  leur situation.

Nous voulions les inonder de courriers de refus en proposant un modĂšle de lettre Ă  plusieurs « fellow designers Â» qui n’auraient eu qu’à signer et poster, mais c’était trop de travail, alors nous avons optĂ© pour une lettre commune signĂ©e par tous.

Nous l’adressons au responsable du projet, au directeur de l’institution, ainsi qu’aux Ă©lus concernĂ©s, les deux ministres de la Culture et du Travail. Nous l’accompagnons du texte de l’AFD qui explique clairement les options offertes Ă  la commande publique.

La rĂ©colte de signataires a mollement commencĂ©, dĂ©montrant l’absence de solidaritĂ© de notre profession. L’adoubement de notre dĂ©marche par un membre apprĂ©ciĂ© de notre communautĂ© (j’emphase Ă  plaisir) – qui a arrosĂ© son rĂ©seau â€“ a accĂ©lĂ©rĂ© le mouvement. Nous sommes plus d’une centaine maintenant, ce qui est consĂ©quent et finalement trĂšs peu.

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Thierry
— ici je voudrais donner Ă  lire quelques passages de cette lettre de protestation pour des rĂšgles du jeu Ă©quitables des appels d’offre et de la commande artistique et du design que vous envoyez avec l’Alliance Française des Designers pour essayer de faire Ă©voluer en quelque sorte la sensibilitĂ© de la commande :

« Monsieur

Nous sommes des graphistes accompagnĂ©s de professionnels d’autres mĂ©tiers du design (historien, enseignant, directeur de festival et de confĂ©rence).

Nous prenons connaissance du cahier des charges de la mise en concurrence à laquelle vous avez invité un de nos signataires.

Votre projet est intéressant. Votre désir de lui apporter un soin graphique vous honore.

Malheureusement, la lecture du rÚglement ne nous encourage pas à y donner suite, car le cahier des charges impose aux candidats des modalités insuffisantes.

Permettez-nous de vous apporter notre regard sur votre projet.

Pour choisir les designers, vous exigez des candidats de vous fournir une proposition graphique d’affiche de saison 2012-2013 spĂ©cifique sans prĂ©voir d’indemnitĂ© pour cette recherche.

Cette mĂ©thode tĂ©moigne d’une mĂ©connaissance de la profession de designer graphique.

Elle méprise le principe selon lequel tout travail mérite un salaire décent.

Nous dĂ©plorons qu’une institution offre pareil exemple de la considĂ©ration accordĂ©e aux acteurs des domaines intellectuels, artistiques et du design.

Votre projet est clair.

Y rĂ©pondre graphiquement de façon satisfaisante rĂ©clame un investissement d’énergie et de temps non nĂ©gligeable.

Y répondre dans ces conditions signifie avoir les moyens ou y passer trÚs peu de temps.

En gĂ©nĂ©ral, il n’en ressort que des propositions graphiques trĂšs pauvres.

À l’époque oĂč nous vivons, il ne nous semble pas valorisant pour une institution comme la vĂŽtre d’encourager le gaspillage d’énergies et de compĂ©tences dont nous avons tous besoin pour dĂ©velopper notre Ă©conomie, et par lĂ  mĂȘme celle de notre pays.

À titre d’information, rĂ©pondre Ă  votre appel d’offres reprĂ©sente environ 6 jours de travail pour qui voudra s’y consacrer sĂ©rieusement. Selon une moyenne europĂ©enne, une journĂ©e de travail pour une seule personne (salaire, charges sociales et de structure) est Ă©valuĂ©e Ă  600€ hors taxes, droits d’auteurs non compris, puisque cela concerne les projets non retenus.

L’inacceptable sĂ©lection sur projets non indemnisĂ©s est une option trop facile, qui dĂ©responsabilise et discrĂ©dite le commanditaire, d’autant s’il est un opĂ©rateur culturel. Trop communĂ©ment adoptĂ©e, elle est une perte de temps et d’argent pour les designers et pour les commanditaires, alors que les projets menĂ©s en Ă©troite collaboration et en bonne intelligence aboutissent le plus souvent sur des projets de qualitĂ©, Ă  la satisfaction des deux parties.

La mĂ©thode idĂ©ale serait de convier dans votre Ă©quipe une personne connaissant notre profession et apte Ă  apprĂ©cier les qualitĂ©s des candidats sur leur portfolio pour retenir soit l’équipe dont l’expĂ©rience semblera la plus apte Ă  vous satisfaire, soit 3 Ă©quipes qui vous proposeraient un projet et d’indemniser correctement les 2 Ă©quipes non retenues.

SĂ©lectionner une Ă©quipe sur dossier est la meilleure option lorsqu’un budget est trop limitĂ© pour indemniser les participants. Cela permet un dialogue enrichissant, et des solutions graphiques et techniques adaptĂ©es au sujet.

C’est donc Ă  regret que nous avons refusĂ© de rĂ©pondre Ă  votre appel.

Nous espérons que vous aurez compris le sens de notre démarche qui se veut constructive. Nous gageons que vous serez sensible à ces arguments.

Pour plus d’informations, nous joignons Ă  ce courrier un texte rĂ©digĂ© par l’Alliance Française des Designers. Nous vous invitons Ă©galement Ă  visiter le site oĂč vous trouverez une charte des marchĂ©s publics Ă  l’attention des commanditaires publics Ă©ditĂ©e en novembre 2011 : http://www.alliance-francaise-des-designers.org/charte-afd-des-marches-publics-de-design.html »

Revenons maintenant aux raisons de ce mouvement de remise en cause des conditions de la commande qui sont aussi les conditions de l’exercice du graphisme, de la possibilitĂ© d’un mĂ©tier Ă©videmment liĂ© Ă  des fonctionnements Ă©conomiques.
 

Si j’ai bien compris, il y a plusieurs types d’appels d’offre. D’abord les appels d’offre publics et privĂ©s. Et puis il y a des appels d’offres disons ouverts : dĂ©posĂ©s sur la place publique Ă  l’ambition, Ă  l’intĂ©rĂȘt, ou au besoin de studios de tous poils. Et puis, il y a ces appels d’offre restreints qui voient le commanditaire organiser un concours autour d’une mission graphique auprĂšs d’un panel de professionnels prĂ©dĂ©fini.
Dans ces diffĂ©rents contextes, qu’est-ce qui fait qu’une commande est incorrecte, abusive ? Peux-tu nous dĂ©crire quelques cas d’espĂšce ?

Le 26 avr. 12 Ă  11:10, Pascal BĂ©jean a Ă©crit :

— Le plus typique est un appel d’offre qui demande directement aux candidats de travailler sur le sujet et d’envoyer un projet sans proposer d’indemnitĂ©s. RĂ©unir un dossier de travaux cohĂ©rent au projet, remplir les formulaires d’usage et rĂ©diger un devis reprĂ©sente dĂ©jĂ  une bonne demi-journĂ©e de travail. C’est un investissement suffisamment consĂ©quent pour ne pas en offrir plus.

Un autre consiste Ă  proposer 2 tours de sĂ©lection, le premier sur dossier, le second sur projet, toujours sans indemnitĂ©s. InterrogĂ©s, ces commanditaires disent souvent qu’ils n’en ont pas les moyens ou qu’ils n’y ont pas pensé 

Une variante plus insultante est de prĂ©voir une indemnitĂ© de 300, 150, voire 50 â‚Ź, reconnaissant qu’une rĂ©ponse avec projet est un vrai travail, lequel travail ne vaudrait pas plus qu’un pourboire.

Enfin, ceux qui ne précisent rien du rendu ouvrant la porte à la surenchÚre, les exigences de cessions de droits hallucinantes ou contraires au droit français, ou une incitation à des actes illégaux comme la copie des polices.

J’en oublie certainement.

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Thierry
— Quelles sont les actions que vous menez, plus ou moins aux cĂŽtĂ©s de l’AFD, pour lutter contre ces formes d’atteinte Ă  l’exercice du mĂ©tier de graphiste ?

Pascal
— Nous n’agissons pas aux cĂŽtĂ©s de l’AFD, pas plus que du Snap CGT, mais en parallĂšle, pour que chacun puisse se joindre Ă  nous sans crainte de rĂ©cupĂ©ration. C’est un geste citoyen ouvert Ă  chacun, professionnel ou non, sensible Ă  ce problĂšme.

Pour l’heure, notre unique action est de rompre l’adage « Qui ne dit mot consent Â», alors beaucoup se contentent d’un haussement d’épaules et laissent passer ces appels sans rĂ©agir.

Nous rédigeons ces lettres pour signaler aux commanditaires notre refus de telles conditions de la commande publique.

Cette situation est le fruit d’aberrations Ă©conomiques ou budgĂ©taires, Ă©galement d’un dĂ©ficit de courage et de culture, mais avant tout d’un manque de respect du travail des autres !

Thierry
— Il s’agit d’une lettre pleine de correction et de pĂ©dagogie qui s’appuie sur la caution de nombre de signatures plus ou moins prestigieuses et tente de sensibiliser le commanditaire, de l’amener Ă  reconsidĂ©rer un fonctionnement.
 

Je vois dans ce courrier des Ă©chos des grapusiens États GĂ©nĂ©raux de la Culture de 1987. MĂȘme ton cordial et ferme, mĂȘme composition du texte en sommaire.

On sent aussi une certaine urgence. L’idĂ©e de dĂ©fendre les conditions d’existence d’une certaine forme peut ĂȘtre plus exigeante, en tous cas plus aventureuse de la dĂ©finition du graphisme. Et notamment en l’absence d’une rĂ©elle structuration, de la part de la corporation comme du cĂŽtĂ© de l’institution


Pascal
— Je ne connais pas ces États gĂ©nĂ©raux, mais visiblement, l’urgence a la peau dure. On devrait faire une grĂšve totale, un blocus du design… MĂȘme si cela ne serait hĂ©las vraisemblablement pas tenu car les graphistes sont isolĂ©s et souvent individualistes.

Thierry
— On peut se demander si la grĂšve d’un service dĂ©jĂ  mal perçu par ses usagers peut servir Ă  grand chose, mais il est sans doute nĂ©cessaire de dĂ©fendre la pratique du graphisme ou du design graphique, comme on voudra, des minces platitudes dĂ©solantes sans doute mieux connues et reconnues du grand nombre de la communication.
 

On se rappelle cet antagonisme qui fit se dresser Grapus contre la publicité. On se souvient de ces différents efforts pour recentrer les efforts de réflexion sur la question de la commande.

DĂšs 1987, les États GĂ©nĂ©raux de la Culture tentaient de donner une nouvelle place Ă  un graphisme mal compris et mal reconnu des institutions culturelles françaises.

En 2001, les douziĂšmes rencontres internationales des arts graphiques de Chaumont enfonçaient le clou avec la thĂ©matique « Qui commande ? Â». GĂ©rard Paris-Clavel parlait, vĂ©hĂ©ment, de « commande impossible Â», disait prĂ©fĂ©rer « un bon sujet Ă  un bon de commande Â», mais la manifestation tentait aussi la promotion d’une certaine articulation des institutions publiques avec ce qu’il qualifiait d’« auteurs connus Â». Une façon de proposer une relative institution graphique, en l’absence d’une vĂ©ritable culture de nos mĂ©tiers et d’une rĂ©elle structuration institutionnelle de la discipline, semblable, par exemple, Ă  celle des architectes.

Depuis 2010 et l’« Ăšre Hervy du festival Â», Chaumont, en mĂȘme temps qu’il se dĂ©marque de la spĂ©cificitĂ© peut ĂȘtre historique, mais exclusive de l’affiche,
accorde une nouvelle attention aux différents collaborateurs de la mission graphique et, notamment, les commanditaires de la sélection française sont maintenant récompensés par un prix spécial aux cÎtés des graphistes.
 

En quelque sorte, il semble que votre action de rĂ©gulation des conditions de l’exercice des marchĂ©s publics accompagne ce type de dĂ©marche de structuration plus ou moins institutionnelle et de reconnaissance du mĂ©tier ?

Le 11 mai 2012 Ă  14:01, Pascal BĂ©jean a Ă©crit :

— Imaginons une seconde que tous les designers en France bloquent leur projets. Cette rĂ©sistance aurait certainement des consĂ©quences positives, Ă  commencer par le respect et la reconnaissance d’un corps de mĂ©tier solidaire.

Notre action est d’abord une nouvelle tentative de rassemblement, un encouragement Ă  l’union faisant la force, puis l’information auprĂšs de ces « usagers Â» qui ne rĂ©flĂ©chissent pas vraiment Ă  leurs actes. Mais nous restons modestes aussi car c’est une initiative privĂ©e et citoyenne.

AprĂšs, si d’autres l’ont fait avant, en parallĂšle ou aprĂšs nous, tant mieux. Plus on est de fous


J’admets tout de mĂȘme un peu de dĂ©couragement. Si 110 signataires nous suivent, combien diffusent l’idĂ©e et ramĂšnent d’autres soutiens ? Et de toutes nos connaissances, combien n’ont jamais rĂ©pondu Ă  cet appel ? AprĂšs 3 ans, nous devrions ĂȘtre 1000. Nous avons rĂ©cemment essuyĂ© un aimable refus de jeunes designers qui commencent Ă  gagner en visibilitĂ©, sans aucun argument. Il y a un manque d’engagement au profit d’un « chacun pour soi Â» ou d’une protection de rĂ©seaux et d’intĂ©rĂȘts privĂ©s. C’est une vision Ă  court terme et Ă©goĂŻste qui ne sert que ceux qui sont bien servis
 Comme souvent.

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photographie Pascal BĂ©jean

Thierry
— J’aimerais aussi que nous envisagions cette question des garanties que doivent  prĂ©senter les graphistes, relatives par exemple Ă  un chiffre d’affaire annuel, ces Ă©lĂ©ments de rassurance Ă  l’adresse du commanditaire qui empĂȘchent souvent les jeunes studios Ă  l’économie forcĂ©ment fragile de pouvoir Ă©merger sur la scĂšne de la profession


Pascal
— Je n’ai pas d’Ă©lĂ©ments pour apprĂ©cier la rĂ©elle importance de ce critĂšre. On nous oppose plus souvent le budget, le dossier, ou le projet. Certains commanditaires marquent aussi la volontĂ© d’intĂ©grer une jeune Ă©quipe
 Par ailleurs, ces studios doivent assumer ce point faible et compenser avec un dossier d’autant plus convaincant. Tout le monde a ses chances face Ă  une Ă©quipe de « vieux Â» avec un portfolio sans saveur. Imagine des mauvais vieux qui viennent juste de crĂ©er un studio !

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Thierry
— Il y a aussi un autre cas qui me concerne et qui me pose problĂšme depuis assez longtemps. C’est la question des projets rĂ©els menĂ©s par les Ă©coles. Ce qu’on appelle parfois du doux nom d’objets confectionnĂ©s et qui assure une part grandissante du budget de l’école avec la rĂ©duction de ses moyens fussent-ils aujourd’hui dits de recherche.

Nombre d’opĂ©ration menĂ©es sous le sceau de l’aide au tissu industriel local, de la confrontation des Ă©tudiants au monde rĂ©el, Ă  l’échelle 1, dissimule plus ou moins des travaux gratuits menĂ©s par les enseignants et les Ă©tudiants subventionnĂ©s par le contribuable pour des sociĂ©tĂ©s susceptibles de dĂ©gager des budgets.

Ces opĂ©rations nuisent Ă  la profession et Ă  ses reprĂ©sentations auprĂšs de la commande. Elles accrĂ©ditent l’idĂ©e d’un travail gratuit, du moins au rabais.

Les journaux et les politiques locaux adorent. Les chefs d’établissement adorent. Les enseignants qui aiment les chefs d’établissement, les journaux et les politiques locaux adorent.
 

Mais traiter l’école comme une sorte d’entreprise, travailler plus ou moins gratuitement pour des entreprises ne sert pas forcĂ©ment la profession. Les Ă©tudiants actuels ne peuvent par exemple trop travailler à la place des anciens Ă©tudiants arrivĂ©s sur le marché du travail

 

En mĂȘme temps cette confrontation Ă  l’extĂ©rieur de l’Ă©cole est enrichissante. Elle propose un cadre d’expĂ©rience en grandeur rĂ©elle sans doute nĂ©cessaire. J’ai moi-mĂȘme menĂ© nombre d’opĂ©rations de ce genre. En essayant de privilĂ©gier des projets culturels ou sociaux sans budget Ă  priori. Mais toujours avec un peu d’inquiĂ©tude, pas mal de mauvaise conscience. Peut ĂȘtre aussi qu’au final, le volume de ce genre de projets demeure nĂ©gligeable ? Je ne connais pas d’Ă©tude Ă  ce sujet.
 

Avez-vous rĂ©flĂ©chi Ă  ce type de problĂšme ?

Pascal
— À l’époque, j’avais rĂ©solu le problĂšme technique en crĂ©ant Ă  DuperrĂ© une « Junior entreprise Â» avec la section DSAA. Elle nous permettait de travaillotter en facturant.

Pour parler du fond, tout dĂ©pend du contexte. Je suis contre les entreprises qui contactent les Ă©coles – ou plutĂŽt les Ă©coles qui acceptent les propositions des entreprises â€“ de faire plancher les Ă©lĂšves sur un projet rĂ©el, en pensant faire une bonne opĂ©rations sous prĂ©texte d’encourager les jeunes pousses.

En revanche, proposer un projet d’étude, comme un laboratoire de recherche sans obligation de rĂ©sultat, peut ĂȘtre envisagĂ©, sous condition que si une idĂ©e s’avĂšre exploitable, l’entreprise passe en mode contractuel. Bien sĂ»r, rien ne les empĂȘche d’exploiter ce think tank comme une ressource facile, un terreau d’idĂ©es –  mĂȘme mauvaises quand on sait tirer profit des erreurs â€“ sans rĂ©tribution, mais ici entre en jeu l’éthique.

Quand Ă  la potentielle concurrence avec les jeunes designers, je ne sais pas plus que toi si elle est consĂ©quente ou anecdotique. Ces projets arrivent souvent en fin de cursus, Ă  l’approche de la vie active, alors la diffĂ©rence entre un futur et un nouvel actif est tĂ©nue.

En gros, il faut que tout cela reste pĂ©dagogique, voire gĂ©nĂ©reux de la part des entreprises – car ça prend du temps, donc de l’argent â€“, mais dĂšs que l’équilibre penche en faveur de l’entreprise, l’éthique devrait la pousser Ă  contractualiser le projet.

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photographie Pascal BĂ©jean

Thierry
— Pour conclure momentanĂ©ment notre discussion, j’aimerais revenir Ă  l’actualitĂ© de vos actions. Sur quelles questions, quels problĂšmes, quelles formes, se concentrent actuellement vos entreprises de dĂ©fense des conditions d’exercice du beau mĂ©tier de graphiste ?

Pascal
_ Je parlerais plus de reconnaissance du mĂ©tier – dont la dĂ©fense des conditions d’exercice fait partie â€“ en lui donnant de la visibilitĂ©.

En donnant un visage aux designers graphiques avec la série de portraits photographiques entamée en 2008. http://www.bejean-ledoux.fr/fr/photographie/tag/in-situ

En proposant des publications numĂ©riques sur les nouvelles plateformes, dont une sĂ©rie de livres monographiques pour l’annĂ©e prochaine. http://www.artbookmagazine.com

En encourageant les Ă©diteurs qui se lancent dans l’édition numĂ©rique Ă  faire appel Ă  des designers, pour penser la cohabitation du papier et de l’Ă©cran dans leurs projets.
Et en continuant cette dĂ©marche de courriers sur les appels d’offres. Il faut maintenir l’effort en encourageant chacun Ă  se joindre Ă  nous, sans les culpabiliser s’ils ne le font pas, oĂč s’ils se rĂ©tractent le temps d’un appel d’offres vraiment tentant… Nul n’est Ă  l’abri d’un dilemme. On pourrait se croire aux AA. On va peut-ĂȘtre distribuer des badges
 90 jours, 3 ans
 😉 Mais on ne fait pas encore de rĂ©unions. On devrait peut-ĂȘtre y penser.

Helmo, Une terrible beauté est née,
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photographie Pascal BĂ©jean


Illustrations :

  • Helmo, Une terrible beautĂ© est nĂ©e, Babel on demand, Blurb, photographies : Pascal BĂ©jean

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