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4 commentaires

Scrupule

  1. Il y a comme une dimension funeste Ă  voir le logo de Grapus disparaĂ®tre Ă  l’occasion d’une exposition sur les ruines (Auguste Perret : « L’architecture c’est ce qui fait les belles ruines »). Que ce soit au vu du sujet lui-mĂŞme ou au regard de l’une des premières affiches de Grapus pour le Louvre : http://www.aubervilliers.fr/album6488_70_7.html

  2. Merci pour le lien. Et pour l’article, j’adhère entièrement au propos.
    Pourvu que le Louvre ne poursuive pas, en loucedé, la destruction de son céleste logo. Cette pièce majeure du graphisme français doit rester en vie, elle appartient au patrimoine culturel immatériel et devrait être protégée à ce titre.

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Timbre édité à l’occasion de l’inauguration du Grand Louvre, Atelier de création graphique, 1993

Timbre édité à l’occasion de l’inauguration du Grand Louvre, Atelier de création graphique, 1993

Scrupule : du latin scrupulus qui signifie « petite pierre pointue » et au sens figurĂ© « sentiment d’inquiĂ©tude, embarras, souci ».
« Les légionnaires romains portaient des sandales. Lorsqu’une petite pierre entrait entre le cuir et la peau elle gênait la progression du soldat. D’où, aujourd’hui, ce sens du scrupule qui taraude l’esprit l’empêchant d’avancer. »

Le Louvre apparaît aujourd’hui dénué de scrupule en se débarrassant de cette petite pierre gênante : un logotype justement (à tous les sens du terme) conçu par un Pierre, Bernard celui-là, alors membre du groupe Grapus dans ce qui était alors les prémices de l’atelier de création graphique. Mentionons tout de suite l’élan volontaire d’autres membres de Grapus et notamment de son administrateur Jean-Paul Bachollet et des graphistes Fokke Draaijer et Dirk Behage. La scène se passait de 1989 à 1993, à la suite de la livraison de sa pyramide par I.M. Pei et dans la perspective de l’agrandissement du musée dans les espaces de l’aile Richelieu du palais. Pierre est mort en novembre, aussi le changement de logotype, disons surtout le renoncement du Louvre à l’endroit de sa propre image, apparaît de façon plus cynique encore comme la fin d’une époque et, avec elle, d’une ambition par et pour les signes et les images.

Dexter Sinister, “Identity”

Dexter Sinister, “Identity”

En 2013, le Festival de Chaumont reproduisait et traduisait l’exposition “Identity” conçue par Dexter Sinister1 pour l’Artist Space (New York) : une installation documentaire commentant les mécaniques à l’œuvre dans les identités visuelles de la Tate Modern de Londres, du Centre Pompidou à Paris et du Museum of Modern Art de New York. À propos de ce dernier, le visiteur et le lecteur du livret reprenant la traduction du texte pouvaient notamment lire ou entendre les propos suivants :

2004 : « Si vous arrivez à trouver beaucoup d’argent, je concevrai un projet architectural fantastique. Mais si vous arrivez à trouver VRAIMENT beaucoup d’argent, je ferai disparaître le bâtiment. »
Telle était la promesse de l’architecte Yoshio Taniguchi lorsqu’il entreprit la rénovation du Museum of Modern Art. 450 millions de dollars plus tard, son aphorisme a frappé. Le prix exorbitant du bâtiment semble indiquer que l’invisibilité apparaît comme une nouvelle forme de luxe.

Le musée a également fait appel au designer Bruce Mau afin de revoir son identité graphique. Mau pensait qu’on ne devait pas toucher au logo existant – conçu en caractères Franklin Gothic : « Tout le monde se lasse de sa propre image, et c’est pourquoi ils voulaient la changer. Mais, moi, c’était comme si je leur disais : “Ne jetez pas le bébé avec l’eau du bain.” »
Mau fit observer cependant qu’entre la version originale du caractère typographique de 1902 et sa version numérique, le Franklin du MoMA avait perdu un peu de son esprit à un moment donné de son histoire.
Le musée se mit alors en contact avec le dessinateur de caractères Matthew Carter pour « rajeunir » la famille de caractères –  e qui revenait, déclara ce dernier, à « demander à un architecte de concevoir la réplique exacte d’un bâtiment ».

On peut difficilement éviter de mettre ces mots à l’intérieur de (je cite) « guillemets » (je ne cite pas – leur usage est si aléatoire).
Le nouveau logo – rebaptisé MoMA Gothic – est identique à l’ancien, à ceci près qu’il a été étiré verticalement d’un 8/100e de pied. Pourtant, cette modification subtile, tout comme le bâtiment de Taniguchi, a nécessité énormément de temps, de prises de décision, d’effort collaboratifs et d’argent – dans les 10 000 dollars. Mais qui s’en rendra compte ?

Glenn D. Lowry déclara : « Je pense que si nous avons vraiment réussi, le public ne remarquera pas la différence. Le logo correspondra exactement à ce qu’il attend. »
Que cache l’accent mis sur cette notion d’invisibilitĂ© par le MoMA ? S’il S’AGIT d’un exercice savamment calculĂ© en termes de marque, il faut reconnaĂ®tre qu’il est fidèle Ă  la mission vĂ©ritable du musĂ©e qui n’est pas tant celle d’un « MoMA Inc. » que celle d’une poignĂ©e d’esthètes fixant la forme de leur propre nom jusqu’à ce que leurs regards se croisent.

Avec l’invisibilité, viendrait ici la notion de continuité et, en trame, l’idée que l’identité en place finit par se charger d’une valeur symbolique constitutive à son tour de l’identité du lieu. Connaissant, un peu, les programmes d’identités livrés par Grapus et l’Atelier de création graphique, l’invisibilité renvoie aussi au travail mené dans l’angle mort : au plan symbolique la visibilité rayonnante, dans l’ombre de laquelle opère la dimension fonctionnelle et l’usage dans une invisibilité de labeur. Il en est ainsi pour les Parcs nationaux, il en va de même pour le Louvre dont le logo composé en Granjon sur fond de cumulus était complété par l’usage de l’Univers. Déjà l’identité visuelle sera délestée de cette partie au profit seul d’un logo envisagé comme une marque. Une direction artistique par Philippe Apeloig, un retour éphémère et douloureux de l’Atelier de création graphique et une refonte, en 2011, de l’identité autour du logo n’y ont rien ou si peu changé2 . Le Louvre a mis à profit la force du signe sans lui apporter sa conviction.

Logotype du Louvre et applications, Grapus, 1990, photo extraite du catalogue Grapus, Alpha Cubic World Graphica 1990

Logotype du Louvre et applications, Grapus, 1990, photo extraite du catalogue Grapus, Alpha Cubic World Graphica 1990

Au milieu de ces productions colossales dont les publicités fracassantes couvraient des pages entières de magazines, l’exposition de peintures, qui se tint d’avril à octobre dans les salons de l’hôtel Bavaria, faillit bien passer inaperçue. Les journaux de Pittsburg parlèrent beaucoup moins des tableaux et des artistes que des personnalités présentes le jour du vernissage : le magnat de l’acier Kellog O’Brien, le richissime Barry O. Frugger, propriétaire et directeur des grands magasins Frugger, et les quarante trois membres de la délégation allemande, conduits par le docteur Ulrich Schultze, premier sous-secrétaire de la Chancellerie Impériale et envoyé extraordinaire de Sa Majesté. Quant aux critiques d’art des journaux américains de langue allemande, ils se contentèrent généralement d’aligner quelques noms d’artistes et quelques titres de tableaux, en les faisant parfois suivre de brefs commentaires passe-partout : Dans la section « Natures mortes », nous avons pu admirer La Théière sur la table, de Garten, dont la palette maîtrise admirablement toutes les nuances du bleu, un Compotier de très haute tenue dû au pinceau robuste du regretté Zigmund Becker, et L’Établi, de James Zapfen, qui semble avoir réussi à tempérer d’une secrète tendresse son réalisme un peu lourd.
Un Cabinet d’amateur, George Perec

Pas de commentaire sur le nouveau logo conçu sans souffle ni talent par l’agence Dream on puisqu’il n’est que le réceptacle reflet d’une commande, d’un regard du Louvre sur lui-même, sur ses missions, sur son public. L’avènement du médiocre. Alors oui :
– on peut établir une fois de plus le parallèle entre le patrimoine architecturale et l’emblème de Grapus pour constater que l’un est intouchable quand l’autre est périssable ;
– on peut facilement s’amuser du fait que pour une institution qui se veut celle du regard et de son histoire, le Louvre ne sache ni regarder ni avoir le sens de l’histoire ;
– on peut interroger le musée sur ce qui (pour reprendre Dexter Sinister) dans sa « mission véritable » justifie cet abandon ;
– on peut accuser l’incompétence des agences de communication sans avancer la preuve de la qualité des graphistes habitués à ce genre d’exercice ;
– on peut opposer à tous les arguments d’ordre communicationnel, marketing, merchandising et mécénal (pour peu que le mot existe et que l’on ait à l’esprit que les « vrais » mécènes furent ceux dont l’ambition a porté les toiles et les œuvres exposées dans le musée), le fait qu’employé par un graphisme en pleine mesure de ses compétences et attendu par un client un tant soit peu éclairé, le logotype de Grapus permet de mener tout cela à bien et surtout permet bien davantage ;
– on pourrait rappeler que plaquer les codes et les ors du luxe sur la culture ou quoi que ce soit d’autre ne produit que du toc quand la culture possède ses propres ors en même temps qu’elle transcende les codes ;
on pourrait citer les travaux récents de Mevis & van Deursen pour le Stedelijk Museum3 et le MCA de Chicago4 ou celui d’Experimental Jetset pour le Whitney Museum5, l’identité et la communication visuelle de la FIAC par M/M (Paris)6 ;
– on pourrait en appeler à la voix du public, à l’hypocrisie des professionnels et de l’amicale de la profession, à l’impuissance des institutions, à l’attention des pouvoirs publics ou politiques prompts à s’émouvoir mais qui au fond n’ont jamais été autant en accord avec une telle situation.

Mais non, Dexter Sinister encore, « Identity » toujours :

Dexter Sinister, Identity

Dexter Sinister, Identity

Ce n’est pas à Grapus/Pierre Bernard que le Louvre n’est pas fidèle, mais à une part de lui-même. Le maintien du logo grapusien, serait la véritable trahison – il vaut désormais plus et mieux que ce Louvre qui n’est pas le sien – son abandon constitue un réel parti pris, une identité visuelle sincère et lucide. Son escamotage signale un état de fait actuel. Une culture sans ambition, ce que le bon sens paysan appelle « jachère » et que les états-majors nomment « terre brulée ». Dans Bande à part (j’aurais pu choisir Le Mépris) Jean-Luc Godard proposait en 1964 un mode performatif de la visite du Louvre : « Ils décidèrent de faire mieux ».

  1. http://www.dextersinister.org/library.html?id=274
    http://artistsspace.org/exhibitions/identity-2 []
  2. https://www.t-o-m-b-o-l-o.eu/meta/le-musee-du-louvre-doit-etre-le-musee-par-excellence/ []
  3. http://www.stedelijk.nl/en/news-items/new-visual-identity-by-mevis-en-van-deursen
    https://vimeo.com/46743069 []
  4. http://www.underconsideration.com/brandnew/archives/new_logo_and_identity_for_museum_of_contemporary_art_chicago_by_mevis_van_deursen.php []
  5. http://www.experimentaljetset.nl/archive/whitney-museum-identity
    http://whitney.org/WatchAndListen/Tag?context=about%20the%20whitney&play_id=854 []
  6. http://www.fiac.com/fr/archives-MM-Paris.html
    https://www.mmparis.com/restricted/books/MM_BOOKS_PR_THEARTWORLD.pdf []

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