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Thea « action de regarder »

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Antonin Artaud, Le théâtre et son double, Collection idées, Paris, Gallimard, (1964) 1981

Antonin Artaud, Le théâtre et son double, Collection idées, Paris, Gallimard, (1964) 1981

Sans doute faut-il se méfier de la métaphore. Tout peut être dans tout et inversement. À trop comparer, on peut perdre la teneur de l’objet comparé, de l’objet de la comparaison.

Notre fragile discipline liminaire n’a pourtant pas cessé de tenter de se définir à l’aune de figures de tutelle de cousines plus consacrées. Le graphisme comme architecture évidemment, mère de tous les arts, arché de la structuration, mais aussi le graphisme comme cinématographie, comme écriture, comme enquête, comme critique…

Le théâtre n’est jamais trop longtemps resté de côté. Comme le graphisme et comme son nom l’indique, le théâtre est un genre de spectacle, un lieu où combler les besoins pressants de la pulsion scopique, mais c’est aussi un instrument plus technique de la vision, de la contemplation et de la réflexion : un moyen de l’abstraction, de la théorie1 .

Le spectacle :
Tout spectacle contiendra un élément physique et objectif, sensible à tous. Cris, plaintes, apparitions, surprises, coups de théâtre de toutes sortes, beauté magique des costumes pris à certains modèles rituels, resplendissements de la lumière, beauté incantatoire des voix, charme de l’harmonie, notes rares de la musique, couleurs des objets, rythme physique des mouvements dont le crescendo et le decrescendo épousera la pulsation de mouvements familiers à tous, apparitions concrètes d’objets neufs et surprenants, masques, mannequins de plusieurs mètres, changements brusques de la lumière, action physique de la lumière qui éveille le chaud et le froid, etc.
Antonin Artaud, « Le théâtre de la cruauté Â», Le théâtre et son double, Gallimard, Paris, 1964, p. 144

Le théâtre est surtout le lieu sacré de la scène, le lieu consacré du signe, cet ancien signum romain qui désignait le symbole de reconnaissance souvent animalier arboré par les armées romaines, ce qu’on suit physiquement au moins des yeux selon la racine indo-européenne skew « suivre Â»2 . Le théâtre est ce lieu où les corps symboliques des acteurs, en grec hupokrites, ne sont pas ce qu’ils sont.

La comparaison du graphisme et du théâtre fait apparaître le graphiste comme le spécialiste des signes de l’inscription d’un texte écrit par un tiers, le responsable et le garant de sa mise en espace, en lumière, en rythme… dans les conditions contraignantes et les possibilités du support imprimé, du visuel projeté, de l’espace profond et ductile de l’écran…

La mise en scène :
C’est autour de la mise en scène, considérée non comme le simple degré de réfraction d’un texte sur la scène, mais comme le point de départ de toute création théâtrale, que se constituera le langage type du théâtre. Et c’est dans l’utilisation et le maniement de ce langage que se fondera la vieille dualité entre l’auteur et le metteur en scène, remplacés par une sorte de créateur unique à qui incombera la responsabilité double du spectacle et de l’action.
Antonin Artaud, « Le théâtre de la cruauté Â», Le théâtre et son double, Gallimard, Paris, 1964, p. 144

Le parallèle du travail graphique avec l’adaptation théâtrale nous fait comprendre le travail d’acclimatation, de transposition du texte premier aux conditions de la scène du livre, de l’affiche, de l’écran… comme une compétition des auctorialités.

Une concurrence qui peut aussi bien se concrétiser dans la hiérarchisation des auteurs prônée par le graphisme de la transparence privilégiant l’instance libérale et autoritaire de l’écriture vis-à-vis de celle de l’inscription servile, que par une action de collaboration. Un mot pas seulement malheureux qui, du reste, peut ne pas se limiter au couple de l’auteur premier et de son metteur en scène, mais concerner toute la galaxie laborieuse des acteurs de la chaîne graphique : de l’éditeur au traducteur, en passant par l’imprimeur, le façonnier, le distributeur, le colleur d’affiche, le gestionnaire de mobilier urbain d’affichage, le libraire pourquoi pas…

Le langage de la scène :
Il ne s’agit pas de supprimer la parole articulée mais de donner aux mots à peu près l’importance qu’ils ont dans les rêves.
Pour le reste il faut trouver des moyens nouveaux de noter ce langage, soit que ces moyens s’apparentent à ceux de la transcription musicale, soit qu’on fasse usage d’une manière de langage chiffré.
En ce qui concerne les objets ordinaires, ou même le corps humain, élevés à la dignité de signes, il est évident que l’on peut s’inspirer de ces caractères hiéroglyphiques, non seulement pour noter ces signes d’une manière lisible et qui permette de les reproduire à volonté, mais pour composer sur la scène des symboles précis et lisibles directement.
Antonin Artaud, « Le théâtre de la cruauté Â», Le théâtre et son double, Gallimard, Paris, 1964, p.145

Penser le graphisme comme le théâtre de la cruauté d’Antonin Artaud peut même nous amener à poursuivre la dynamique de l’écriture.

Par exemple en inventant un langage tiers capable de réaliser le script, la partition de toutes les opérations graphiques secondes nécessaires pour réaliser l’incarnation, la mise en scène graphique, du texte premier de commande.

  1. Théâtre n. m. est emprunté (mil. XIIe s.) au latin classique theatrum « lieu de représentation Â» […] lui-même emprunté au grec theatron. Ce mot est dérivé de thea « action de regarder Â» Alain Rey (dir.), Le Robert, Dictionnaire historique de la langue française, Dictionnaires Robert, Paris, 2000, Tome 3, p. 3813 []
  2. Walter Jackson Ong, « Psychodynamique de l’oralité Â», Oralité et écriture, Les belles lettres, 2014 (1982), p.94 []

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